Petit mort pour rire
Va vite, léger peigneur de comètes!
Les herbes au vent seront tes cheveux;
De ton oeil béant jailliront les feux
Follets, prisonniers dans les pauvres têtes...
Les fleurs de tombeau qu'on nomme Amourettes
Foisonneront plein ton rire terreux...
Et les myosotis, ces fleurs d'oubliettes...
Ne fais pas le lourd: cercueils de poètes
Pour les croques-morts sont de simples jeux,
Boîtes à violon qui sonnent le creux...
Ils te croiront mort – Les bourgeois sont bêtes –
Va vite, léger peigneur de comètes!
Le mousse
Mousse : il est donc marin, ton père ?
– Pêcheur. Perdu depuis longtemps.
En découchant d'avec ma mère,
Il a couché dans les brisants
Maman lui garde au cimetière
Une tombe – et rien dedans –
C'est moi son mari sur la terre,
Pour gagner le pain aux enfants.
Deux petits. – Alors, sur la plage,
Rien n'est revenu du naufrage ?
– Son garde-pipe et son sabot
La mère pleure, le dimanche,
Pour repos
Moi : j'ai ma revanche
Quand je serai grand – matelot ! –
Lettre du Mexique
" Vous m'avez confié la petit – Il est mort.
Et plus d'un camarade avec, pauvre cher être.
L'équipage
y en a plus. Il reviendra peut-être
Quelques-uns de nous. – C'est le sort –
" Rien n'est beau comme ça – Matelot – pour un homme ;
Tout le monde en voudrait à terre – C'est bien sûr.
Sans le désagrément. Rien que ça : Voyez comme
Déjà l'apprentissage est dur.
" Je pleure en marquant ça, moi, vieux Frère-la-côte.
J'aurais donné ma peau joliment sans façon
Pour vous le renvoyer
Moi, ce n'est pas ma faute :
Ce mal-là n'a pas de raison.
" La fièvre est ici comme mars en carême.
Au cimetière on va toucher sa ration.
Le zouave a nommé ça – Parisien quand-même –
Le jardin d'acclimation.
" Consolez-vous. Le monde y crève comme mouches.
J'ai trouvé dans son sac des souvenirs de cur :
Un portrait de fille, et deux petites babouches,
Et, marqué – Cadeau pour ma sur. –
" Il fait dire à maman : qu'il a fait sa prière.
Au père : qu'il serait mieux mort dans un combat.
Deux anges étaient là sur son heure dernière :
Un matelot. Un vieux soldat. "
Steam-boat
En fumée elle est donc chassée
L'éternité, la traversée
Qui fit de Vous ma sur d'un jour,
Ma sur d'amour !
Là-bas : cette mer incolore
Où ce qui fut toi flotte encore
Ici : la terre, ton écueil,
Tertre de deuil !
On t'espère là
Va légère !
Qui te bercera, Passagère ?
Ô passagère [de] mon cur,
Ton remorqueur !
Quel ménélas, sur son rivage,
Fait le pied ?
– Va, j'ai ton sillage
J'ai, – quand il est là voir venir, –
Ton souvenir !
Il n'aura pas, lui, ma Peureuse,
Les sauts de ta gorge houleuse !
Tes sourcils salés de poudrain
Pendant un grain !
Il ne t'aura pas : effrontée !
Par tes cheveux au vent fouettée !
Ni, durant les longs quarts de nuit ,
Ton doux ennui
Ni ma poésie où : – Posée,
Tu seras la mouette blessée,
Et moi le flot qu'elle rasa
,
Et cætera.
– Le large, bête sans limite,
Me paraîtra bien grand, Petite,
Sans Toi !
Rien n'est plus l'horizon
Qu'une cloison.
Qu'elle va me sembler étroite !
Tout seul, la boîte à deux !
la boîte
Où nous n'avions qu'un oreiller
Pour sommeiller.
Déjà le soleil se fait sombre
Qui ne balance plus ton ombre,
Et la houle a fait un grand pli
– Comme l'oubli ! –
Ainsi déchantait sa fortune,
En vigie, au sec, dans la hune,
Par un soir frais, vers le matin,
Un pilotin.
Paria
Qu'ils se payent des républiques,
Hommes libres ! – carcan au cou –
Qu'ils peuplent leurs nids domestiques !
– Moi je suis le maigre coucou.
– Moi, – cur eunuque, dératé
De ce qui mouille et ce qui vibre
Que me chante leur Liberté,
A moi ? toujours seul. Toujours libre.
– Ma patrie
elle est par le monde ;
Et, puisque la planète est ronde,
Je ne crains pas d'en voir le bout
Ma patrie est où je la plante :
Terre ou mer, elle est sous ma plante
De mes pieds – quand je suis debout.
– Quand je suis couché : ma patrie
C'est la couche seule et meurtrie
Où je vais forcer dans mes bras
Ma moitié, comme moi sans âme ;
Et ma moitié : c'est une femme
Une femme que je n'ai pas.
– L'idéal à moi : c'est un songe
Creux ; mon horizon – l'imprévu –
Et le mal du pays me ronge
Du pays que je n'ai pas vu.
Que les moutons suivent leur route,
De Carcassonne à Tombouctou
– Moi, ma route me suit. Sans doute
Elle me suivra n'importe où.
Mon pavillon sur moi frissonne,
Il a le ciel pour couronne :
C'est la brise dans mes cheveux
Et, dans n'importe quelle langue ;
Je puis subir une harangue ;
Je puis me taire si je veux.
Ma pensée est un souffle aride :
C'est l'air. L'air est à moi partout.
Et ma parole est l'écho vide
Qui ne dit rien – et c'est tout.
Mon passé : c'est ce que j'oublie.
La seule chose qui me lie
C'est ma main dans mon autre main.
Mon souvenir – Rien – C'est ma trace.
Mon présent, c'est tout ce qui passe
Mon avenir – Demain
demain
Je ne connais pas mon semblable ;
Moi, je suis ce que je fais.
– Le Moi humain est haïssable
– Je ne m'aime ni ne me hais.
– Allons ! la vie est une fille
Qui m'a pris à son bon plaisir
Le mien, c'est : la mettre en guenille,
La prostituer sans désir.
– Des dieux ?
– Par hasard j'ai pu naître ;
Peut-être en est-il – par hasard
Ceux-là, s'ils veulent me connaître,
Me trouveront bien quelque part.
– Où que je meure : ma patrie
S'ouvrira bien, sans qu'on l'en prie,
Assez grande pour mon linceul
Un linceul encor : pour quoi faire ?
Puisque ma patrie est en terre
Mon os ira bien là tout seul