|
PLAN: 1.
La répression des abus de droit
1.1. Le bail à long
terme "fictif"
1.2. Le bail à
long terme à but exclusivement fiscal
2. L'appréciation
des conditions d'applications des avantages fiscaux
2.1. Le bail à
long terme est-il conforme aux statut du fermage (article L. 416-1 et
suivants)
2.2. Le GFA fonctionne-t-il
conformément aux dispositions qui le régissent
2.3. Impôt de
solidarité sur la fortune : l’exonération des biens
loués à long terme à un membre du groupe familial
: jusqu’où peut-on aller dans l’interprétation
stricte d’une règle d’exception ?
1. La traque et la répression
des abus de droit : confondre les menteurs et surprendre les petits malins
En fiscalité, l’abus de droit – dont
la répression est organisée par l’article L. 64 du
Livre des procédures fiscales – connaît deux variantes
: le simulacre ou la fictivité et le montage à but exclusivement
fiscal.
1.1. Quand le bail à
long terme n’est qu’un simulacre:
La première variante est aisément compréhensible,
même si elle peut poser quelques problèmes de preuve. Lorsque
le bail à long terme existe sur le papier mais ne correspond pas
à la situation réelle, il ne peut ouvrir droit aux avantages
fiscaux.
Cette forme d’abus de droit est illustrée,
notamment, par un arrêt de la chambre commerciale de la Cour de
cassation du 11 janvier 2000 (Cass.
com. 11 janvier 2000, n° 97-16070, Fressineau : RJF 4/00, n°
577):
Un père
a constitué, avec ses deux enfants, une SCEA qui a pris en location
un domaine viticole lui appartenant, lequel a été apporté
à un GFA. Le même jour la nue-propriété de
parts du GFA a été donnée aux enfants en bénéficiant
de l’exonération partielle des droits de mutation à
titre gratuit. L’administration a démontré que le
GFA n’avait pas d’existence réelle, n’ayant
même pas de compte bancaire pour encaisser les loyers, lesquels
étaient directement perçus par l’usufruitier des
parts sociales. Les juges du fonds n’y avaient vu qu’une
simplification des procédures comptables, sans incidences économiques.
La Cour de cassation sanctionne la fictivité du GFA et souligne
du même coup l’importance du respect du formalisme dans
le fonctionnement des structures juridiques. (cf. également Cass.
com. 21 juin 1994, n° 93-10759).
Mais, si la fictivité des personnes morales est
constitutif d’un abus de droit, la circonstance que les dirigeants
du GFA bailleur et de la société d’exploitation locataire
soient les mêmes personnes physiques ne permet pas de conclure à
la fictivité du bail à long terme conclu entre ces deux
structures juridiques (Cass.
com. 8 octobre 1991, n° 89-16053, Saint-Exupéry : BC IV,
n° 280, RJF 12/91, n° 1610).
1.2. Quand le bail à
long terme n’a qu’un but fiscal:
L’autre forme de l’abus de droit est sans
doute plus difficile à cerner. Elle permet à l’administration
d’écarter les actes qui, sans être fictifs, peuvent
être regardés comme ayant pour seul but d’éluder
des impositions, c’est-à-dire des actes guidés par
des préoccupations exclusivement fiscales (l'existence de préoccupations
fiscales de la part des parties, licites en elles-mêmes, ne peut
être retenue que si elles constituent la justification exclusive
de l'opération: Cass.
com. 19 avril 1988, n° 86-19079).
Il peut sembler choquant, de prime abord, alors que le
législateur s’efforce d’inciter les bailleurs à
conclure des baux à long terme par l’octroi d’avantages
fiscaux, que l’administration reproche aux mêmes bailleurs
d’avoir été séduits par ces incitations et
d’avoir conclu des baux à long terme dans l’unique
but de bénéficier des avantages fiscaux qu’ils confèrent.
Dans une chronique publiée à la Revue de
jurisprudence fiscale (RJF 5/98, p. 359), Stéphane Verclytte, Maître
des Requêtes au Conseil d’Etat, a ainsi précisé
l’approche que le Conseil d’Etat faisait de cette question:
« La condition de motivation exclusivement fiscale pose cependant
problème dans le cas où l’abus de droit invoqué
porte sur l’utilisation de mesures d’incitation fiscale. Le
Conseil d’Etat, allant jusqu’au bout de la logique dans laquelle
il s’était engagé, a choisi, dans une telle hypothèse,
de regarder comme une fraude à la loi la violation des intentions
du législateur. Il a en effet admis l’existence d’un
abus de droit lorsque des dispositions législatives accordant des
avantages fiscaux dérogatoires au droit commun dans un but d’intérêt
général avaient été utilisées dans
des conditions telles que le but en vue duquel ces avantages avaient été
prévus n’avait pas été atteint (CE
3 février 1984, n° 38320, Plén. Bilger Gillet :
RJF 4/84, n° 499)».
De son côté, la Cour de cassation déduit
de l’existence d’effets non fiscaux l’impossibilité
de conclure aux motifs exclusivement fiscaux de l’opération
incriminée (Cass.
com. 10 décembre 1996, n° 2084P, RMC France : RJF 2/97,
n° 186). « Il n’y a pas fraude en l’absence
de montage et donc lorsque les actes litigieux sont réels et que
les conséquences juridiques qui en découlent créent
une situation nouvelle véritablement différente de celle
précédant leur mise en œuvre » (Jean-Claude
PAROT : chronique DF 1998, n° 6, p. 186).
- Ainsi, la seule circonstance que le preneur savait, lors
de la signature du bail à long terme, qu’il deviendrait,
par donation, nu-propriétaire des biens pris à bail quinze
jours plus tard est un motif « impropre à caractériser
l’existence de préoccupations fiscales exclusives »
(Cass.
com. 16 juin 1992, Tiberghien : RJF 8-9/92, n° 1277). Il est en
effet évident que la donation en nue-propriété n’empêche
pas au bail de produire ses effets. Mais la Cour de cassation juge aussi
que le Tribunal n’a pas méconnu l’obligation de l’administration
d’établir que le bail à longue durée n’avait
pas d’autre intérêt que fiscal, en déduisant
de la proximité chronologique des deux actes et du fait que le
bail n’avait apporté aucun avantage particulier au donataire
qu’elle avait fait cette preuve ; et, « examinant ensuite
les arguments présentés par M. Tiberghien de nature à
donner, selon lui, au bail sa justification, il a d’abord écarté
l’intérêt financier qu’en augmentant leurs ressources
le bail aurait occasionné aux bailleurs, puis repoussé l’avantage
familial que le contrat aurait procuré en garantissant d’un
côté l’égalité entre les enfants et,
de l’autre, en permettant à M. Jacques Tiberghien de poursuivre
l’exploitation du domaine familial, en retenant que ces considérations
étaient suffisamment prises en compte par la situation antérieure
et ne nécessitaient donc pas la conclusion d’un nouveau bail
; il a ainsi légalement justifié sa décision »
(Cass.
com. 7 octobre 1997, n° 95-13650, Tiberghien : RJF 3/98, n°
340).
Comme on l’a compris, la particularité des
deux derniers arrêts cités est d’avoir été
rendus dans la même affaire. Ces arrêts montrent qu’en
la matière, si la Cour de cassation vérifie l’existence
de motifs pertinents permettant au Tribunal de retenir l’abus de
droit, elle n’entre évidemment pas dans l’appréciation
des faits. Les juges du fond sont en conséquence souverains pour
apprécier l’existence du but exclusivement fiscal et l’absence,
en fait, d’effets réels autres que fiscaux sur la situation
des intéressés, pourvu qu’ils justifient suffisamment
leur décision au regard de ces deux critères.
- Dans une autre affaire où, le même jour,
une mère avait consenti à son fils un bail à long
terme sur des terres qui lui étaient déjà louées
par bail ordinaire et une donation d’usufruit sur une partie de
ces parcelles, et où l’administration, suivie par le Tribunal
de Grande Instance de Bordeaux, avait contesté l’application
de l’exonération partielle prévue à l’article
793.2.3° du CGI au motif « qu’en donnant le même
jour à son fils ses droits en usufruit sur partie des parcelles
de terres et de vignes faisant l’objet du bail à long terme,
la donatrice a annulé les effets du bail rural à concurrence
de sa donation d’usufruit », la Cour de cassation a jugé
« qu’en subordonnant le bénéfice de l’exonération
à une condition que la loi applicable à l’époque
de la donation ne prévoyait pas », le tribunal avait violé
les textes susvisés (Cass.
com. 21 novembre 2000, n° 98-11016, David :RJF 3/01, n° 395
; Droit fiscal 2001, n° 22-23, comm. 516; Cass.
com. 27 mars 2001, n° 98-14127 , David), précision étant
faite que la donation était intervenue quelques jours avant l’entrée
en vigueur des nouvelles dispositions imposant une condition d’antériorité
du bail en cas de donation au profit du locataire.
L’arrêt de la Cour de cassation précise
toutefois que l’Administration, après avoir notifié
un premier redressement fondé sur le caractère fictif du
bail à long terme en application de l’article L. 64 du LPF,
en avait notifié un second selon la procédure contradictoire.
Si la procédure d’abus de droit avait été abandonnée,
l’arrêt de la Cour de cassation ne permet de tirer aucune
conclusion sur l’éventuelle qualification d’abus de
droit des opérations en cause.
- La seule circonstance que les preneurs
soient âgés lors de la conclusion du bail à long
terme (en l’espèce 72 et 75 ans) n’est pas de nature
à faire obstacle à l’application du régime
de faveur (Cass.
com. 10 juin 1997, n° 94-18085)
- Une affaire un peu plus embrouillée, a donné
lieu à un arrêt défavorable de la Cour d’appel
de Douai, en date du 8 juin 2009 (n° RG 08/06111):
Préalablement, le comité consultatif
avait conclu à l’abus de droit (affaire n° 2003-28,
BOI
13 L-2-04), en invoquant notamment le caractère fictif d’un
bail à long terme conclu sur des biens précédemment
loués verbalement à un GAEC. Le bail avait été
conclu au profit d’un neveu et d’une nièce de la
bailleresse, le neveu étant associé du GAEC et la nièce,
l’épouse de l’autre associé, Aucune convention
de mise à disposition n’avait été régularisée
au profit du GAEC qui, cependant exploitait les biens loués avant
comme après la signature du bail à long terme.
Au regard des circonstances d’espèce,
cet argument n’a pas été retenu par le juge d’appel
qui a axé sa décision sur le critère du but exclusivement
fiscal.
Après avoir énoncé que :
« le bail à long terme est un instrument
juridique visant à renforcer la stabilité de la situation
de l’exploitant agricole, en limitant les risques liés
à l’exercice par le bailleur de son droit de reprise
», et que « c’est afin d’atteindre cet objectif
que des mesures incitatives ont été instaurées
en direction des propriétaires de terres agricoles, consistant
en des avantages fiscaux »,
la Cour a principalement relevé que la substitution
d’un bail à long terme à un bail verbal préexistant
ne s’imposait nullement pour établir une stabilité
dans la location des terres au GAEC, la bailleresse étant retraitée,
célibataire et sans descendance et ayant légué
ses biens à ses 3 neveux et nièce dont l’un d’eux
était associé du GAEC et la nièce épouse
de l’autre associé.
La Cour relève également que l’argument
tiré de ce que le bail à long terme rendrait plus onéreuse
l’expropriation un temps envisagée ne peut être retenu,
faute de preuve, et, à supposer même cette hypothèse
avérée, « la conclusion du contrat litigieux
n’aurait correspondu à aucune nécessité économique,
le but poursuivi par les parties à l’acte étant
totalement étranger à la finalité du bail à
long terme ».
- Mais, à l'inverse, n'est pas abusive la transformation d'un bail de 9 ans en bail à long terme 2 mois avant le décès du bailleur qui avait institué le preneur légataire universel, dès lors que cette transformation était en préparation depuis une longue période, qu'elle était intervenue à la demande du preneur notamment au regard d'un projet de construction nécessitant la conclusion d'un emprunt pour lequel l'existence d'un bail à long terme constituait une condition favorable pour le banquier. La cour relève en outre que le preneur n'était pas censé connaître la teneur du testament dont le contenu n'est d'ailleurs jamais définitif (CA Rouen, 16 mai 2007, n° 05/04656).
Malgré l'avis défavorable du Comité consultatif
pour la répression des abus de droit (affaire n° 2002-5, BOI
13 L-2-04).
- Dans un avis rendu en 1999, le Comité consultatif
pour la répression des abus de droit a considéré
que l’abus de droit était caractérisé dans
les circonstances suivantes : Une tante consent un bail à long
terme a son neveu qu’elle vient d’instituer légataire
universel 4 mois plus tôt, qui vit chez elle et exploite déjà
les terres en cause depuis 20 ans en vertu d’un bail verbal sans
contrepartie. Elle décède trois mois plus tard. Le comité
relève enfin que la bailleresse « n’avait aucun
intérêt financier à conclure ce bail qui d’ailleurs
n’a pas été payé » (Affaire n°
99-5 : BOI 13 L-2-00).
2. L'appréciation des
conditions d'application des avantages fiscaux:
2.1. Conformité du
bail à long terme aux articles L. 416-1 du Code rural:
Le point commun de tous les avantages fiscaux réside
dans l’existence d’un bail à long terme répondant
aux conditions des articles L. 416-1 à L. 416-6, L 416-8 et L.
416-9 du Code rural, c’est-à-dire, en fait, à l’ensemble
des dispositions du Chapitre VI du Titre 1er du Livre IV, chapitre intitulé
: dispositions particulières aux baux à long terme. Seul
l’article L. 416-7 est exclu de l’énumération
parce qu’il ne fait que rappeler les avantages fiscaux attachés
aux baux à long terme.
Cette condition a été discutée dans
différentes situations:
• Baux consentis à une société
par un propriétaire associé exploitant:
Se fondant sur les dispositions du dernier alinéa
de l’article L. 411-2 du Code rural excluant du champ d’application
du statut des baux ruraux les biens mis à dispositions d’une
société par une personne qui participe effectivement à
leur exploitation au sein de celle-ci, l’administration a soutenu
que des baux conclus dans un tel contexte ne pouvaient ouvrir droit
aux avantages fiscaux, faute d’être soumis au statut. Cette
analyse a été admise par le Tribunal de Grande Instance
de Charleville-Mézières (21 juillet 1995 : Rev. Dr. Rur.
1996, Notez bien p. 25). Mais le jugement a été cassé
le 8 octobre 1997 (Cass.
civ. IIIn° 95-19267 , Dupont : BC III n° 187, RJF 3/98,
n° 331), au motif « que les dispositions des articles
L. 411-1 et L. 411-2 du Code rural n’interdisaient pas aux époux
D… de consentir un bail à long terme soumis au statut du
fermage à la SCEA D…, même en continuant de participer
à l’exploitation au sein de celle-ci ». Il reste
que, dans cette situation, les clauses dérogatoires au statut
des baux ruraux ne peuvent pas être réputées non
écrites.
• Bail de parcelles non exploitées:
On peut s’interroger sur l’efficacité
de baux portant sur des parcelles non exploitées. A cet égard,
il a été précisé que l’exonération
prévue à l’article 793.2.3° du CGI pouvait profiter
aux parcelles qui, en application de la réglementation relative
au retrait des terres arables, sont en nature de jachère au moment
où intervient la transmission dès lors qu’elles
ne sont pas utilisées à des fins non agricoles (RM Valleix
n° 61577, JOAN 16 novembre 1992, p. 5200).
• Baux antérieurs à
1970:
Longtemps, l’administration a soutenu que les
baux conclus antérieurement à l’entrée en
vigueur de la loi instituant les baux à long terme ne pouvaient
pas bénéficier du régime spécifique attaché
à ceux-ci. La Cour de cassation ayant plusieurs fois infirmé
cette analyse (Cass.
com. 25 avril 1977, n° 75-13195 : RJF 10/77, n° 576 ; 18
mai 1981, n° 79-16064 : Droit fiscal 1981, comm. 2152 ; Cass.
com. 22 mars 1988, n° 86-14193: Droit fiscal 1988, n° 20-21,
comm. 1076), l’administration a fini par abandonner sa doctrine
par une réponse ministérielle du 2 décembre 1996
(RM Martin, JOAN 2 décembre 1996, p. 6293, n° 38896) «
sous réserve que les clauses du bail en cours du jour de la mutation
à titre gratuit soient conformes aux prévisions des articles
L. 416-1 à L. 416-6, L. 416-8 et L. 416-9 du Code rural ».
• Baux à long terme renouvelés
tacitement:
La Cour de cassation a nettement jugé que les
baux de 9 ans, issus du renouvellement d’un bail à long
terme, est un nouveau bail qui n’a pas la nature d’un bail
à long terme (3ème
civ. 1er avril 1998 : JCPN 1998, p. 1094 ; 2
février 2000 : Rev. Dr. Rur. 2000, p. 187). La question s’est
donc trouvée posée de savoir si les exonérations
fiscales liées aux baux à long terme étaient applicables
aux baux ainsi renouvelés.
S’agissant de l’exonération partielle
prévue à l’article 793.2.3° du CGI, l’Administration
y a répondu d’une manière positive dans une lettre
adressée à la FNSEA en date du 4 mars 1993, sous réserve
« que les parties puissent apporter la preuve de l’existence
d’un bail initial conclu entre le bailleur et le preneur ou, ultérieurement
ses ayants droit, dans l’hypothèse où les termes
du bail ne s’opposent pas à son transfert aux descendants,
et de sa continuation par tacite reconduction : paiement du droit de
bail, absence de congé donné par le bailleur ou le preneur…
» (JURISAGRI, n° 3, p. 46).
La Documentation de Base confirme cette position, pour
l’application de l’article 793.2.3° (D.
adm. 7 G-2622, n° 15, 20 décembre 1996) comme de l’article
793.1.4° (D.
adm. 7 G-2623, n° 22, 20 décembre 1996).
Adde RM Morisset n° 26790, JOAN
20 juillet 2004, p. 5517: le bénéfice de l'exonération
est accordé aux transmissions intervenant pendant la durée
prévue au contrat initial ou au cours des renouvellements successifs.
Ainsi, l'exonération s'applique lorsque la mutation intervient
à l'expiration du bail à long terme initial mais que
la location se poursuit par tacite reconduction conformément
aux dispositions des articles L. 416-1 et L. 416-3 du code rural.
S’agissant de l’exonération d’ISF
prévue à l’article 885 P, l’administration
a également répondu de manière positive, sous réserve
que la durée du bail initial soit au moins de 18 ans (RM Dejoie,
JO Sénat 24 août 1989, p. 1323, n° 4119 : JCPN 1990,
Prat. p. 43).
• Baux conformes au statut: état
des lieux et autres conditions:
La question de la conformité du bail aux règles
impératives du statut est assez délicate.
Avant que l’administration fiscale ne renonce
à refuser le bénéfice des exonérations au
motif d’absence d’état des lieux (RM Mauger, AN 28
avril 1980, p. 1714, n° 26321), la Cour de cassation avait été
amenée à préciser que l’absence d’état
des lieux à la date de la mutation ne faisait pas perdre au bail
à long terme son caractère, « dès lors qu’il
a été suivi d’un état des lieux établi
selon les dispositions de l’article 809 du code rural »
(Cass.
com. 9 mars 1976, n° 74-14899, Harduin
: RJF 7-8/76, n° 364).
Par ailleurs, en présence de baux signés
avant l’entrée en vigueur de la loi instituant le régime
particulier des baux à long terme, la Cour de cassation a jugé
que les clauses du bail antérieur, contraires aux conditions
de la loi nouvelle, ne s’opposaient pas à l’application
des exonérations dès lors qu’elles devaient être
réputées non écrites en vertu de la loi nouvelle
applicable aux baux en cours (Cass.
com. 22 mars 1988, n° 86-14193, Pechon : Droit Fiscal 1988,
n° 20-21, comm. 1076).
Il n’est cependant pas évident que la
nullité des clauses contraire à l’ordre public puisse
toujours être opposée à l’administration fiscale,
principalement dans le cas où les parties ont fait application
de ces clauses dans leurs relations contractuelles. On pourrait aisément
imaginer une distinction entre, d’une part les clauses réputées
nulles et non écrites dont les parties renonceraient à
se prévaloir, de telles clauses ne faisant pas perdre le bénéfice
des exonérations, et, d’autre part, les clauses contraires
au statut mais néanmoins appliquées entre les parties
qui permettraient à l’administration de soutenir que les
conditions du Code rural ne sont pas réunies.
2.2. Les conditions spécifiques
exigées des Groupements Fonciers Agricoles (GFA) :
En dehors de ces dénominateurs communs, des interrogations
concernent spécifiquement les GFA .
2.2.1. Quant à son patrimoine :
tous les biens ruraux doivent être loués par bail à
long terme :
La doctrine administrative en vigueur au 20 décembre
1996 précise encore: « l’exonération ne
peut s’appliquer que si le patrimoine du groupement ne comprend
que des immeubles à destination agricole et que si la totalité
de ceux-ci sont donnés à bail à long terme »
(DB
7 G-2623, n° 22, 20 décembre 1996). Cette précision
ne semble guère compatible avec le régime d’exonération
en vigueur depuis le 1er juillet 1992 et qui réserve l’exonération
à la fraction de la valeur des parts de GFA qui correspond aux
biens ruraux loués par bail à long terme.
Plus sûrement, l’application du régime
de faveur est subordonnée à la réunion de deux
conditions cumulatives :
• que le GFA n’ait été constitué
que d’apports d’immeubles agricoles et de numéraires,
condition résultant de l’article L. 322-8 du Code rural,
étant précisé qu’en cas d’apports en
numéraires:
– l’exonération de l’article
793-1.4° ne s’applique que sous condition d’un délai
de détention de deux ans par le défunt ou donateur,
Il a été admis que
l'augmentation de capital par incorporation des comptes courants
d'associés dans les deux ans qui ont précédé
la transmission des parts n'est pas de nature à exclure ces
dernières de l'exonération de DMTG prévue par
le 4° du 1 de l'article 793 précité du CGI, dans
la mesure où ces comptes courants avaient été
constitués et alimentés dès la création
du groupement et les sommes correspondantes immédiatement
utilisées pour doter le groupement d'immeubles à destination
agricole. Mais cette solution, justifiée dans un tel contexte,
ne saurait être étendue à tous les cas d'augmentation
de capital par incorporation des comptes courants d'associés
(RM Balkany n° 78245, JOAN 3 août 2010).
– l’exonération d’ISF (885
H et 885 Q) ne s’applique qu’aux parts représentatives
d’apports d’immeubles ou de droits immobiliers à
destination agricole
Cette condition a été
supprimée pour la seule exonération partielle de l'article
885 H supprimée par LdFR 2008 n° 2008-1443 du 30 décembre
2008 (article 41),
• que tous les biens ruraux soient loués
par bail à long terme (Cass.
com. 30 juin 1992, n° 90-15842 : BC n° 257, RJF 10/92, n°
1435). A noter toutefois, qu’invitée par la FNSEA à
confirmer « que le Service de la législation fiscale
ne se refuserait pas, pour l’application de l’exonération
partielle des transmissions à titre gratuit de parts de G.F.A.
et avant toute procédure contentieuse, à examiner les
cas limites où une fraction minime des terres agricoles du groupement
ne serait pas louée par bail à long terme du fait de circonstances
indépendantes du bailleur », ledit Service a répondu
: « Il m’est agréable de vous apporter les confirmations
que vous demandez » (Lettre du SLF à la FNSEA du 4
mars 1993 : JURISAGRI mars 1993, n° 3, p. 46).
Ces conditions peuvent faire difficulté, soit
lorsque des biens non affectés à l’exploitation
agricole ont été apportés à la constitution
et demeurent dans cet état à la date d’application
du régime d’exonération (par exemple, des bois ou
des friches), soit lorsque le GFA est issu de la transformation d’une
société d’une autre forme, ayant initialement reçu
des apports d’une autre nature (Cf. RM Geoffroy, Sénat
5 mai 1976, p. 864, n° 19529).
2.2.2. La notion d’infraction au
sens de l’article L. 322-18 du Code rural.
Une autre difficulté propre aux GFA réside
dans l’interprétation de l’article L. 322-18 du Code
rural qui stipule : « Toute infraction aux dispositions du
présent chapitre donne lieu au remboursement des avantages financiers
et fiscaux qu’elle prévoit. Toutefois, ce remboursement
n’est pas dû lorsque la condition de parenté prévue
à l’article L. 322-11 cesse d’être respectée
à la suite de transmissions à titre gratuit ».
Cette disposition est reprise à l’article 1840 G sexes
du CGI : « Toute infraction aux articles L. 322-1 à
L. 322-24 du code rural relatifs aux groupements fonciers agricoles
et groupements fonciers ruraux donne lieu au remboursement des avantages
fiscaux qu’ils prévoient ». La Cour de cassation
a récemment jugé que, « même en l’absence
de fraude, la disparition de l’activité sociale en considération
de laquelle le régime fiscal de faveur a été accordé
constitue une infraction » au sens de ces dispositions (Cass.
com. 10 mars 1998, n° 96-14481, SCI du Domaine de Cauhape :
Droit Fiscal 1998, n° 30, comm. 719).
La portée de cette jurisprudence reste à
préciser. En l’occurrence la Cour de cassation a ainsi
rejeter le pourvoi dirigé contre un jugement du Tribunal de Grande
Instance de Pau, en date du 19 décembre 1995 ayant eu à
statuer sur la remise en cause du droit d’apport dont avait bénéficié
le GFA lors de sa constitution, alors qu’il s’était
transformé en société civile immobilière
dix ans plus tard. Saisi d’un litige visant la remise en cause
des exonérations partielles appliquées lors de donations
de parts du même GFA, le Tribunal de Grande Instance de Pau a
cette fois jugée que « sauf à ajouter une sanction
fiscale qu’elles ne comportent pas aux dispositions des articles
L. 322-1 à L. 322-24 du Code rural, l’Administration fiscale
ne peut valablement prétendre que l’opération de
transformation du GFA, intervenue… postérieurement aux
actes de transmission à titre gratuit, constitue une infraction
aux dispositions des articles susvisés, aucune condition postérieure
à la transmission à titre gratuit, autre que celle prévue
à l’article 793 bis, n’étant requise des bénéficiaires
de l’article 793-1-4° du Code Général des Impôts
» (TGI Pau 12 août 1998, n° 97.02492 : JURISAGRI
septembre 1998, n° 63, p. 51).
Ce jugement a été confirmé par
Cass.
com. 4 février 2004, n° 00-20271 : La transformation
d'un GFA en SCI n'entraîne pas la remise en cause de l'exonération
partielle appliquée lors de la donation des parts de GFA dès
lors que ces parts ont été conservées pendant au
moins 5 ans par les donataires.
Mais, bien sûr, l'annulation
d'une partie des parts des GFA désignés au 4 du 1 de
l'article 793 du Code général des impôts avant
l'expiration du délai prévu par l'article 793 bis du
même code et consécutive au retrait d'une partie des
biens donnés à bail à long terme par le GFA entraîne
la déchéance totale de l'exonération partielle
prévue par le premier de ces textes (Cass.
com. 3 novembre 2004, n° 02-14421)
Selon RM Perrut n° 30630, JOAN
29/03/2005, p. 3256, la dissolution du GFA et le partage qui s'ensuit
ne constituent pas une infraction susceptible de remettre en cause
le bénéfice de l'exonération accordée
à la donation de parts consenties plus de 5 ans auparavant,
dès lors que la vente de ses actifs fonciers intervient postérieurement
à la décision de dissolution. En revanche, la vente
de la totalité des actifs fonciers préalablement à
la décision de dissolution poserait des difficultés
pour l'application de l'article 1840 G sexies du CGI dans la mesure
où cette opération entraînerait la dénaturation
de l'objet social du GFA....
2.3. Impôt de solidarité
sur la fortune : l’exonération des biens loués à
long terme à un membre du groupe familial : jusqu’où
peut-on aller dans l’interprétation stricte d’une règle
d’exception ?
Concernant enfin spécifiquement l’ISF, et
plus spécialement l’assimilation à des biens professionnels
exonérés des biens loués par bail à long terme
à une membre du groupe familial qui l’utilise dans l’exercice
de sa profession principale (articles 885 P et 885 Q du CGI), plusieurs
difficultés ont été soulevées.
• Biens exploités dans le cadre
d'une société:
La Cour de cassation a suivi l’Administration dans
son refus d’étendre cette exonération au cas de bail
à long terme consenti à une société contrôlée
par les membres du groupe familial (Cass.
com. 14 décembre 1999, n° 97-18810, Leflaive : RJF 4/00,
n° 572). Mais, les articles 885
P et 885
Q ont été modifiés à compter du 1er janvier
2004. Désormais, l'exonération est accordée lorsque
le bien rural est loué à une société contrôlée
par un membre du groupe familial, de même que s'il est loué
à un membre dudit groupe qui le met à disposition d'une
telle société dans les conditions prévues à
l'article L. 411-37 du Code rural. Mais l'exonération totale est
limitée à la proportion du capital détenu par les
membres du groupe familial qui exercent dans la société
leur activité professionnelle principale.
Dans une instruction
du 20 janvier 2005, publiée au BOI 7 S-2-05, l'administration
a notamment précisé:
– que la modification des dispositions des
articles 885 P et 885 Q du CGI n’est pas de nature à remettre
en cause l’application des dispositions exposées DB 7 S
3312 n°6 et suivants aux biens ruraux et aux parts de groupements
fonciers agricoles ou groupements agricoles fonciers.
En effet, il est rappelé
que, sous réserve de certaines conditions, le caractère
de bien professionnel est reconnu dans l’hypothèse d’une
location ou d’une mise à disposition d’un bien
rural, faite directement par le propriétaire du bien ou par
un groupement dont il détient des parts, dans la mesure où
cette location ou cette mise à disposition ne prive pas en
fait le propriétaire du bien ou des droits de la possibilité
d’utiliser les biens pour les besoins exclusifs de son activité
professionnelle exercée à titre principal.
- pour déterminer la fraction exonérée
du bien rural, il convient de prendre en compte la seule participation
des personnes, membres du groupe familial, qui exercent leur activité
principale dans la société. Et, dans
l’hypothèse où l’une des ces personnes détiendrait
des droits démembrés (usufruit ou nue-propriété
seulement), leur pourcentage de participation sera calculé par
application de l’article 669.
• Biens loués à des copreneurs:
L’administration entend encore limiter la portée
de l’exonération en cas de bail consenti à des copreneurs
dont l’un est membre du groupe familial (RM Girod, n° 18089
et 19147, JO Sénat 22 novembre 1984, p. 1869 ; DB
7 S-333, n° 11, 1er octobre 1999), l’autre n’étant
par exemple que son conjoint. Dans cette hypothèse «
le bien rural est considéré comme bien professionnel à
hauteur de la part de ce copreneur, si les autres conditions pour bénéficier
de l’exonération sont remplies ». Cette interprétation
paraît toutefois excessivement restrictive dans la mesure où
le bail conclu dans ces conditions ne peut être réputé
conclu seulement pour moitié au profit de chacun des copreneurs.
Bien entendu, la condition d’utilisation effective dans le cadre
de l’activité principale doit être remplie par le membre
du groupe familial et non seulement par le copreneur extérieur
au groupe familial. En exigeant que le membre du groupe familial
soit le preneur exclusif du bail à long terme, l'administration
fiscale subordonnait l'exonération à une condition non prévue
par le texte légal (CA Reims 19 juillet 2005, Gaucher,
JurisData n° 2005-292757).
RM Balkany n°
78245, JOAN 3 août 2010:
Question: M. Patrick Balkany attire l'attention de M. le ministre de
l'alimentation, de l'agriculture et de la pêche sur l'exonération
de droits de mutation des groupements fonciers agricoles (GFA) instaurées
par l'article 793-1-4° du code général des impôts.
En application de ladite disposition, les donations de parts des groupements
fonciers agricoles sont exonérées de droits de mutation
à concurrence d'une fraction de la valeur nette des biens donnés
à bail à long terme et à bail cessible à
condition notamment que les parts susvisées aient été
détenues depuis plus de deux ans au moins par le donateur. Par
ailleurs, il aurait été précisé que ce dispositif
s'applique également, sans que cette condition de détention
n'ait à être respectée, lorsque les parts données
ont été acquises depuis moins de deux ans par capitalisation
d'un compte courant d'associé comptabilisé lors de la
constitution de la société et/ou afin de permettre l'acquisition
de l'exploitation agricole devant constituer le patrimoine du GFA. Par
ailleurs, il arrive qu'un GFA ait été constitué
par apport en nature, généralement immobilier et que,
par la suite, le GFA ait besoin de sommes nécessaires qui peuvent
être versées en compte courant par les associés
au fur et à mesure des besoins financiers du GFA. Aussi, il lui
demande de bien vouloir lui indiquer si la donation des parts constituées
par capitalisation des comptes courants des associés afin de
répondre aux besoins complémentaires du GFA est éligible
aux dispositions prévues par l'article 793-1-4° du code général
des impôts sans que ces parts n'aient à être détenues
depuis plus de deux ans.
Réponse : Le 4° du 1 de l'article 793 du
code général des impôts (CGI) prévoit que
sont exonérées, sous certaines conditions, de droits de
mutation à titre gratuit (DMTG) les parts des groupements fonciers
agricoles (GFA) et celles des groupements agricoles fonciers (GAF),
créés conformément à la loi n° 62-933
du 8 août 1962 et répondant aux diverses caractéristiques
des articles L. 322-1 à L. 322-21, L. 322-23 et L. 322-24 du
code rural et de la pêche maritime, et cela à concurrence
des trois quarts de la fraction de la valeur nette des biens donnés
à bail à long terme ou à bail cessible. L'exonération
est notamment subordonnée à la condition que les parts
soient, au jour de la transmission à titre gratuit, détenues
depuis deux ans au moins par le donateur ou le défunt. Toutefois,
ce délai n'est pas exigé lorsque le donateur ou le défunt
a été partie au contrat de constitution du groupement
foncier agricole et, à ce titre, a effectué des apports
constitués exclusivement par des immeubles ou des droits immobiliers
à destination agricole. L'augmentation de capital par incorporation
des comptes courants d'associés dans les deux ans qui ont précédé
la transmission des parts n'est pas de nature à exclure ces dernières
de l'exonération de DMTG prévue par le 4° du 1 de
l'article 793 précité du CGI, dans la mesure où
ces comptes courants avaient été constitués et
alimentés dès la création du groupement et les
sommes correspondantes immédiatement utilisées pour doter
le groupement d'immeubles à destination agricole. Cette solution,
justifiée dans un tel contexte, ne saurait être étendue
à tous les cas d'augmentation de capital par incorporation des
comptes courants d'associés. En effet, une telle extension conduirait
à favoriser les investissements en numéraire, au risque
d'inciter les contribuables qui souhaitent organiser la transmission
de leur patrimoine à investir dans ces groupements. Or, la finalité
du dispositif d'exonération des parts de GFA est de faciliter
la mise à disposition de terres agricoles et non d'en faire un
mode privilégié de transmission du patrimoine. Il est
rappelé que les apports en numéraire sont, sous certaines
conditions, éligibles à l'exonération prévue
par le 4° du 1 de l'article 793 du CGI. À cet égard,
l'article 41 de la loi de finances rectificative pour 2008 (n° 2008-1443
du 30 décembre 2008) a d'ailleurs étendu l'exonération
partielle des parts de GFA ou de GAF prévue, dans les mêmes
conditions en matière d'impôt de solidarité sur
la fortune (ISF) mais jusqu'alors limitée aux seules parts représentatives
d'apports en nature, aux parts d'intérêts de GFA ou de
GAF représentatives d'apports en numéraire, l'exonération
s'appliquant à la fraction desdites parts représentative
de la valeur nette des biens donnés à bail à long
terme ou à bail cessible. En outre, l'article 45 de la loi de
finances rectificative pour 2008 précitée et l'article
39 de la loi de finances pour 2009 (n° 2008-1425 du 27 décembre
2008) ont, respectivement en matière de DMTG et d'ISF, porté
de 76 000 à 100 000 , à compter du 1er janvier 2009, le
seuil au-delà duquel le taux d'exonération des parts de
GFA ou de GAF est réduit de 75 % à 50 %. Compte tenu par
ailleurs de la révision annuelle de ce seuil, celui-ci s'élève
à 100 393 en 2010. L'ensemble de ces dispositions confère
aux parts de GFA ou de GAF un régime fiscal favorable en matière
de DMTG et d'ISF qu'il n'est pas envisagé de modifier.
|
|