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William
SHAKESPEARE
1564 - 1616
Hamlet
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Etre
ou ne pas être: telle est la question. Y a-t-il pour l'âme
plus de noblesse à endurer les coups et les revers d'une
injurieuse fortune, ou à s'armer contre elle pour mettre
frein à une marée de douleur ?
Mourir: dormir; c'est tout. Calmer enfin, dit-on, dans le sommeil
les affreux battements du coeur;
quelle conclusion des maux héréditaires serait plus
dévotement souhaitée ? Mourir, dormir; dormir... rêver
peut-être. C'est là le hic! Car, échappés
des liens charnels, si, dans ce sommeil du trépas, il nous
vient des songes... halte-là! Cette considération
prolonge la calamité de la vie. Car, sinon, qui supporterait
du sort les soufflets et les avanies, les torts de l'oppresseur,
les outrages de l'orgueilleux, les remises de la justice, l'insolence
des gens officiels, les rebuffades que les méritants rencontrent
auprès des indignes, alors qu'un petit coup de pointe viendrait
à bout de tout cela ? Qui donc assumerait ces charges, accepterait
de geindre et de suer sous le fait écrasant de la vie, s'il
n'y avait cette crainte de quelque chose après la mort, mystérieuse
contrée d'où nul voyageur ne revient ? Voici l'énigme
qui nous engage à supporter les maux présents, plutôt
que de nous échapper vers ces autres dont nous ne connaissons
rien. Et c'est ainsi que la conscience fait de chacun de nous un
couard; c'est ainsi que la verdeur première de nos résolutions
s'étiole à l'ombre pâle de la pensée;
c'est ainsi que nos entreprises de grand essor et conséquence
tournent leur courant de travers et se déroutent de l'action.
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Pierre
CORNEILLE
1606 - 1684
Le
Cid (acte
1, scène 6) - Don Rodrigue
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Percé
jusques au fond du cur
D'une atteinte imprévue aussi bien que mortelle,
Misérable vengeur d'une juste querelle,
Et malheureux objet d'une injuste rigueur,
Je demeure immobile, et mon âme abattue
Cède au coup qui me tue.
Si près de voir mon feu récompensé,
Ô Dieu, l'étrange peine !
En cet affront mon père est l'offensé,
Et l'offenseur le père de Chimène !
Que je sens de rudes combats !
Contre mon propre honneur mon amour s'intéresse:
Il faut venger un père, et perdre une maîtresse:
L'un m'anime le cur, l'autre retient mon bras.
Réduit au triste choix ou de trahir ma flamme,
Ou de vivre en infâme,
Des deux côtés mon mal est infini.
Ô Dieu, l'étrange peine !
Faut-il laisser un affront impuni ?
Faut-il punir le père de Chimène ?
Père, maîtresse, honneur, amour,
Noble et dure contrainte, aimable tyrannie,
Tous mes plaisirs sont morts, ou ma gloire ternie.
L'un me rend malheureux, l'autre indigne du jour.
Cher et cruel espoir d'une âme généreuse,
Mais ensemble amoureuse,
Digne ennemi de mon plus grand bonheur,
Fer qui causes ma peine,
M'es-tu donné pour venger mon honneur ?
M'es-tu donné pour perdre ma Chimène ?
Il
vaut mieux courir au trépas.
Je dois à ma maîtresse aussi bien qu'à
mon père :
J'attire en me vengeant sa haine et sa colère ;
J'attire ses mépris en ne me vengeant pas.
A mon plus doux espoir l'un me rend infidèle,
Et l'autre indigne d'elle.
Mon mal augmente à le voir guérir ;
Tout redouble ma peine.
Allons, mon âme ; et puisqu'il faut mourir,
Mourons du moins sans offenser Chimène.
Mourir sans tirer ma raison!
Rechercher un trépas si mortel à ma gloire !
Endurer que l'Espagne impute à ma mémoire
D'avoir mal soutenu l'honneur de ma maison!
Respecter un amour dont mon âme égarée
Voit la perte assurée !
N'écoutons plus ce penser suborneur,
Qui ne sert qu'à ma peine.
Allons, mon bras, sauvons du moins l'honneur,
Puisqu'après tout il faut perdre Chimène.
Oui, mon esprit s'était déçu.
Je dois tout à mon père avant qu'à ma
maîtresse :
Que je meure au combat, ou meure de tristesse,
Je rendrai mon sang pur comme je l'ai reçu.
Je m'accuse déjà de trop de négligence
:
Courons à la vengeance ;
Et tout honteux d'avoir tant balancé,
Ne soyons plus en peine,
Puisqu'aujourd'hui mon père est l'offensé,
Si l'offenseur est père de Chimène.
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Jean
de La FONTAINE
1621 -1695
Le loup et le chien
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Un
loup n'avait que les os et la peau,
Tant les chiens faisaient bonne garde.
Ce loup rencontre un dogue aussi puissant que beau,
Gras, poli , qui s'était fourvoyé par mégarde.
L'attaquer, le mettre en quartiers ,
Sire loup l'eût fait volontiers;
Mais il fallait livrer bataille,
Et la mâtin était de taille
A se défendre hardiment.
Le loup donc, l'aborde humblement,
Entre en propos, et lui fait compliment
Sur son embonpoint, qu'il admire.
«Il ne tiendra qu'à vous, beau sire,
D'être aussi gras que moi, lui répartit le
chien.
Quittez les bois, vous ferez bien:
Vos pareils y sont misérables,
Cancres, hères, et pauvres diables,
Dont la condition est de mourir de faim.
Car quoi? rien d'assuré; point de franche lippée
;
Tout à la pointe de l'épée.
Suivez moi, vous aurez un bien meilleur destin.»
Le
loup reprit: «Que me faudra-t-il faire?
-Presque rien, dit le chien: donner la chasse aux gens
Portants bâtons et mendiants;
Flatter ceux du logis, à son maître complaire:
Moyennant quoi votre salaire
Sera force reliefs de toutes les façons:
Os de poulets, os de pigeons,
Sans parler de mainte caresse.»
Le loup déjà se forge une félicité
Qui le fait pleurer de tendresse
Chemin faisant, il vit le cou du chien pelé.
"Qu'est-ce là? lui dit-il. - Rien. - Quoi? rien?
-Peu de chose.
Mais encor? - Le collier dont je suis attaché
De ce que vous voyez est peut-être la cause.
- Attaché? dit le loup: vous ne courez donc pas
Où vous voulez? - Pas toujours; mais qu'importe?
-
Il importe si bien, que de tous vos repas
Je ne veux en aucune sorte,
Et ne voudrais pas même à ce prix un trésor."
Cela dit, maître loup s'enfuit, et court encor.
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MOLIERE
1622 - 1673
Don Juan (acte 1,
scène 2)
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Quoi!
tu veux qu'on se lie à demeurer au premier objet qui
nous prend, qu'on renonce au monde pour lui et qu'on n'ait
plus d'yeux pour personne ? La belle chose de vouloir se piquer
d'un faux honneur d'être fidèle, de s'ensevelir
pour toujours dans une passion, et d'être mort dès
sa jeunesse à toutes les autres beautés qui
nous peuvent frapper les yeux! Non, non, la constance n'est
bonne que pour des ridicules; toutes les belles ont droit
de nous charmer, et l'avantage d'être rencontrée
la première ne doit point dérober aux autres
les justes prétentions qu'elles ont toutes sur nos
coeurs. Pour moi, la beauté me ravit partout où
je la trouve, et je cède facilement à cette
douce violence dont elle nous entraîne. J'ai beau être
engagé, l'amour que j'ai pour une belle n'engage point
mon âme à faire injustice aux autres; je conserve
des yeux pour voir le mérite de toutes, et rends à
chacune les hommages et les tributs où la nature nous
oblige. Quoi qu'il en soit, je ne puis refuser mon coeur à
tout ce que je vois d'aimable; et, dès qu'un beau visage
me le demande, si j'en avais dix mille, je les donnerais tous.
Les inclinations naissantes, après tout, ont des charmes
inexplicables, et tout le plaisir de l'amour est dans le changement.
On goûte une douceur extrême à réduire,
par cent hommages, le coeur d'une jeune beauté, à
voir de jour en jour les petits progrès qu'on y fait,
à combattre, par des transports, par des larmes et
des soupirs, l'innocente pudeur d'une âme qui a peine
à rendre les armes; à forcer pied à pied
toutes les petites résistances qu'elle nous oppose,
à vaincre les scrupules dont elle se fait un honneur,
et la mener doucement où nous avons envie de la faire
venir. Mais lorsqu'on en est maître une fois, il n'y
a plus rien à dire ni rien à souhaiter; tout
le beau de la passion est fini, et nous nous endormons dans
la tranquillité d'un tel amour, si quelque objet nouveau
ne vient réveiller nos désirs, et présenter
à notre coeur les charmes attrayants d'une conquête
à faire. Enfin, il n'est rien de si doux que de triompher
de la résistance d'une belle personne; et j'ai, sur
ce sujet, l'ambition des conquérants, qui volent perpétuellement
de victoire en victoire, et ne peuvent se résoudre
à borner leurs souhaits. Il n'est rien qui puisse arrêter
l'impétuosité de mes désirs; je me sens
un coeur à aimer toute la terre; et, comme Alexandre,
je souhaiterais qu'il y eu d'autres mondes, pour y pouvoir
étendre mes conquêtes amoureuses.
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Jean
RACINE
1639 - 1699
Andromaque
(acte V, scène dernière)
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ORESTE
Grâce
aux dieux! Mon malheur passe mon espérance!
Oui, je te loue, ô ciel, de ta persévérance.
Appliqué sans relâche au soin de me punir,
Au comble des douleurs tu m'as fait parvenir.
Ta haine a pris plaisir à former ma misère;
J'étais né pour servir d'exemple à
ta colère,
Pour être du malheur un modèle accompli.
Hé bien! je meurs content, et mon sort est rempli.
Où sont ces deux amants ? Pour couronner ma joie,
Dans leur sang, dans le mien, il faut que je me noie;
L'un et l'autre en mourant je les veux regarder.
Réunissons trois coeurs qui n'ont pu s'accorder.
Mais quelle épaisse nuit tout à coup m'environne
?
De quel côté sortir ? D'où vient que
je frissonne ?
Quelle horreur me saisit ? Grâce au ciel, j'entrevoi.
Dieux! quels ruisseaux de sang coulent autour de moi!
PYLADE
Ah,
Seigneur!
ORESTE
_ _ _ _ _____ _ _Quoi! Pyrrhus,
je te rencontre encore?
Trouverai-je partout un rival que j'abhorre ?
Percé de tant de coups, comment t'es-tu sauvé
?
Tiens, tiens, voilà le coup que je t'ai réservé.
Mais que vois-je ? A mes yeux Hermione l'embrasse ?
Elle vient l'arracher au coup qui le menace ?
Dieux! quels affreux regards elle jette sur moi!
Quels démons, quels serpents traîne-t-elle
après soi ?
Hé bien! filles d'enfer, vos mains sont-elles prêtes?
Pour qui sont ces serpents qui sifflent sur vos têtes
?
A qui destinez-vous l'appareil qui vous suit ?
Venez-vous m'enlever dans l'éternelle nuit ?
Venez, à vos fureurs, Oreste s'abandonne.
Mais non, retirez-vous, laissez faire Hermione:
L'ingrate mieux que vous saura me déchirer;
Et je lui porte enfin mon coeur à dévorer.
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Gérard
de NERVAL
1808 - 1855
Une allée du Luxembourg
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Elle
a passé, la jeune fille
Vive et preste comme un oiseau:
A la main une fleur qui brille,
A la bouche un refrain nouveau.
C'est
peut-être la seule au monde
Dont le coeur au mien répondrait,
Qui venant dans ma nuit profonde
D'un seul regard l'éclairerait!
Mais
non, - ma jeunesse est finie...
Adieu doux rayon qui m'a lui,-
Parfum, jeune fille, harmonie...
Le bonheur passait, - il a fui!
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Alfred
de MUSSET
1810 - 1857
Lorenzaccio (acte III, scène
3)
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LORENZO:
Tu me demandes pourquoi je tue Alexandre ? Veux-tu donc que
je m'empoisonne, ou que je saute dans l'Arno ? Veux-tu donc
que je sois un spectre, et qu'en frappant sur ce squelette
(il frappe sa poitrine) il n'en sorte aucun son ? Si
je suis l'ombre de moi-même, veux-tu donc que je rompe
le seul fil qui rattache aujourd'hui mon coeur à quelques
fibres de mon coeur d'autrefois ? Songes-tu que ce meurtre,
c'est tout ce qui me reste de ma vertu ? Songes-tu que je
glisse depuis deux ans sur un rocher taillé à
pic, et que ce meurtre est le seul brin d'herbe où
j'ai pu cramponner mes ongles ? Crois-tu donc que je n'ai
plus d'orgueil, parce que je n'ai plus de honte, et veux-tu
que je laisse mourir en silence l'énigme de ma vie
? Oui, cela est certain, si je pouvais revenir à la
vertu, si mon apprentissage du vice pouvait s'évanouir,
j'épargnerais peut-être ce conducteur de boeufs
- mais j'aime le vin, le jeu et les filles, comprends-tu cela
? Si tu honores en moi quelque chose, toi qui me parles, c'est
mon meurtre que tu honores, peut-être justement parce
que tu ne le ferais pas. Voilà assez longtemps, vois-tu,
que les républicains me couvrent de boue et d'infamie;
voilà assez longtemps que les oreilles me tintent,
et que l'exécration des hommes empoisonne le pain que
je mâche. J'en ai assez de me voir conspué par
des lâches sans nom, qui m'accablent d'injures pour
se dispenser de m'assommer, comme ils le devraient. J'en ai
assez d'entendre brailler en plein vent le bavardage humain;
il faut que monde sache un peu qui je suis, et qui il est.
Dieu merci, c'est peut-être demain que je tue Alexandre;
dans deux jours j'aurai fini. Ceux qui tournent autour de
moi avec des yeux louches, comme autour d'une curiosité
monstrueuse apportée d'Amérique, pourront satisfaire
leur gosier, et vider leur sac à paroles. Que les hommes
me comprennent ou non, qu'ils agissent ou n'agissent pas,
j'aurai dit tout ce que j'ai à dire; je leur ferai
tailler leurs plumes, si je ne leur fais pas nettoyer leurs
piques, et l'Humanité gardera sur sa joue le soufflet
de mon épée marquée en traits de sang.
Qu'ils m'appellent comme ils voudront, Brutus ou Erostrate,
il ne me plaît pas qu'ils m'oublient. Ma vie entière
est au bout de ma dague, et que la Providence retourne ou
non la tête en m'entendant frapper, je jette la nature
humaine à pile ou face sur la tombe d'Alexandre; dans
deux jours, les hommes comparaîtront devant le tribunal
de ma volonté.
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Charles
BAUDELAIRE
1821 - 1867
L'invitation au Voyage
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Mon
enfant, ma soeur,
Songe à la douceur,
D'aller là-bas vivre ensemble!
Aimer à loisir,
Aimer et mourir
Au pays qui te ressemble!
Les soleils mouillés
De ces ciels brouillés
Pour mon esprit ont les charmes
Si mystérieux
De tes traîtres yeux,
Brillant à travers leurs larmes.
Là,
tout n'est qu'ordre et beauté,
Luxe, calme et volupté.
Des
meubles luisants,
Polis par les ans,
Décoreraient notre chambre;
Les plus rares fleurs
Mêlant leurs odeurs
Aux vagues senteurs de l'ambre,
Les riches plafonds,
Les miroirs profonds,
La splendeur orientale,
Tout y parlerait
A l'âme en secret
Sa douce langue natale.
Là,
tout n'est qu'ordre et beauté,
Luxe, calme et volupté.
Vois
sur ces canaux
Dormir ces vaisseaux
Dont l'humeur est vagabonde;
C'est pour assouvir
Ton moindre désir
Qu'ils viennent du bout du monde.
- Les soleils couchants
Revêtent les champs,
Les canaux, la ville entière,
D'hyacinthe et d'or;
Le monde s'endort
Dans une chaude lumière.
Là,
tout n'est qu'ordre et beauté,
Luxe, calme et volupté.
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Paul
VERLAINE
1844 - 1896
Mon rêve familier
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Je
fais souvent ce rêve étrange et pénétrant
D'une femme inconnue, et que j'aime, et qui m'aime,
Et qui n'est chaque fois, ni tout à fait la même
Ni tout à fait une autre, et m'aime et me comprend.
Car
elle me comprend, et mon coeur, transparent
Pour elle seule hélas! cesse d'être un problème
Pour elle seule, et les moiteurs de mon front blême,
Elle seule les sait rafraîchir, en pleurant.
Est-elle
brune, blonde ou rousse ? - Je l'ignore.
Son nom ? Je me souviens qu'il est doux et sonore
Comme ceux des aimés que la Vie exila.
Son
regard est pareil au regard des statues,
Et, pour sa voix, lointaine, et calme, et grave, elle a
L'inflexion des voix chères qui se sont tues.
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Petit
mort pour rire
Va
vite, léger peigneur de comètes!
Les herbes au vent seront tes cheveux;
De ton oeil béant jailliront les feux
Follets, prisonniers dans les pauvres têtes...
Les
fleurs de tombeau qu'on nomme Amourettes
Foisonneront plein ton rire terreux...
Et les myosotis, ces fleurs d'oubliettes...
Ne
fais pas le lourd: cercueils de poètes
Pour les croques-morts sont de simples jeux,
Boîtes à violon qui sonnent le creux...
Ils te croiront mort - Les bourgeois sont bêtes -
Va vite, léger peigneur de comètes!
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Mousse
: il est donc marin, ton père ?
- Pêcheur. Perdu depuis longtemps.
En découchant d'avec ma mère,
Il a couché dans les brisants
Maman
lui garde au cimetière
Une tombe - et rien dedans -
C'est moi son mari sur la terre,
Pour gagner le pain aux enfants.
Deux
petits. - Alors, sur la plage,
Rien n'est revenu du naufrage ?
- Son garde-pipe et son sabot
La
mère pleure, le dimanche,
Pour repos
Moi : j'ai ma revanche
Quand je serai grand - matelot ! -
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"
Vous m'avez confié la petit - Il est mort.
Et plus d'un camarade avec, pauvre cher être.
L'équipage
y en a plus. Il reviendra peut-être
Quelques-uns de nous. - C'est le sort -
"
Rien n'est beau comme ça - Matelot - pour un homme ;
Tout le monde en voudrait à terre - C'est bien sûr.
Sans le désagrément. Rien que ça : Voyez comme
Déjà l'apprentissage est dur.
"
Je pleure en marquant ça, moi, vieux Frère-la-côte.
J'aurais donné ma peau joliment sans façon
Pour vous le renvoyer
Moi, ce n'est pas ma faute :
Ce mal-là n'a pas de raison.
"
La fièvre est ici comme mars en carême.
Au cimetière on va toucher sa ration.
Le zouave a nommé ça - Parisien quand-même -
Le jardin d'acclimation.
"
Consolez-vous. Le monde y crève comme mouches.
J'ai trouvé dans son sac des souvenirs de cur
:
Un portrait de fille, et deux petites babouches,
Et, marqué - Cadeau pour ma sur. -
"
Il fait dire à maman : qu'il a fait sa prière.
Au père : qu'il serait mieux mort dans un combat.
Deux anges étaient là sur son heure dernière
:
Un matelot. Un vieux soldat. "
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Steam-boat
En
fumée elle est donc chassée
L'éternité, la traversée
Qui fit de Vous ma sur d'un jour,
Ma sur d'amour !
Là-bas
: cette mer incolore
Où ce qui fut toi flotte encore
Ici : la terre, ton écueil,
Tertre de deuil !
On
t'espère là
Va légère !
Qui te bercera, Passagère ?
Ô passagère [de] mon cur,
Ton remorqueur !
Quel
ménélas, sur son rivage,
Fait le pied ?
- Va, j'ai ton sillage
J'ai, - quand il est là voir venir, -
Ton souvenir !
Il
n'aura pas, lui, ma Peureuse,
Les sauts de ta gorge houleuse !
Tes sourcils salés de poudrain
Pendant un grain !
Il
ne t'aura pas : effrontée !
Par tes cheveux au vent fouettée !
Ni, durant les longs quarts de nuit ,
Ton doux ennui
Ni
ma poésie où : - Posée,
Tu seras la mouette blessée,
Et moi le flot qu'elle rasa
,
Et cætera.
-
Le large, bête sans limite,
Me paraîtra bien grand, Petite,
Sans Toi !
Rien n'est plus l'horizon
Qu'une cloison.
Qu'elle
va me sembler étroite !
Tout seul, la boîte à deux !
la boîte
Où nous n'avions qu'un oreiller
Pour sommeiller.
Déjà
le soleil se fait sombre
Qui ne balance plus ton ombre,
Et la houle a fait un grand pli
- Comme l'oubli ! -
Ainsi
déchantait sa fortune,
En vigie, au sec, dans la hune,
Par un soir frais, vers le matin,
Un pilotin.
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Paria
Qu'ils
se payent des républiques,
Hommes libres ! - carcan au cou -
Qu'ils peuplent leurs nids domestiques !
- Moi je suis le maigre coucou.
-
Moi, - cur eunuque, dératé
De ce qui mouille et ce qui vibre
Que me chante leur Liberté,
A moi ? toujours seul. Toujours libre.
-
Ma patrie
elle est par le monde ;
Et, puisque la planète est ronde,
Je ne crains pas d'en voir le bout
Ma patrie est où je la plante :
Terre ou mer, elle est sous ma plante
De mes pieds - quand je suis debout.
-
Quand je suis couché : ma patrie
C'est la couche seule et meurtrie
Où je vais forcer dans mes bras
Ma moitié, comme moi sans âme ;
Et ma moitié : c'est une femme
Une femme que je n'ai pas.
-
L'idéal à moi : c'est un songe
Creux ; mon horizon - l'imprévu -
Et le mal du pays me ronge
Du pays que je n'ai pas vu.
Que
les moutons suivent leur route,
De Carcassonne à Tombouctou
- Moi, ma route me suit. Sans doute
Elle me suivra n'importe où.
Mon
pavillon sur moi frissonne,
Il a le ciel pour couronne :
C'est la brise dans mes cheveux
Et, dans n'importe quelle langue ;
Je puis subir une harangue ;
Je puis me taire si je veux.
Ma
pensée est un souffle aride :
C'est l'air. L'air est à moi partout.
Et ma parole est l'écho vide
Qui ne dit rien - et c'est tout.
Mon passé : c'est ce que j'oublie.
La seule chose qui me lie
C'est ma main dans mon autre main.
Mon souvenir - Rien - C'est ma trace.
Mon présent, c'est tout ce qui passe
Mon avenir - Demain
demain
Je
ne connais pas mon semblable ;
Moi, je suis ce que je fais.
- Le Moi humain est haïssable
- Je ne m'aime ni ne me hais.
-
Allons ! la vie est une fille
Qui m'a pris à son bon plaisir
Le mien, c'est : la mettre en guenille,
La prostituer sans désir.
-
Des dieux ?
- Par hasard j'ai pu naître ;
Peut-être en est-il - par hasard
Ceux-là, s'ils veulent me connaître,
Me trouveront bien quelque part.
-
Où que je meure : ma patrie
S'ouvrira bien, sans qu'on l'en prie,
Assez grande pour mon linceul
Un linceul encor : pour quoi faire ?
Puisque ma patrie est en terre
Mon os ira bien là tout seul
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