Sanction fiscale des loyers anormaux et des abandons de loyers

Mise à jour: 1er décembre 2006
 
   
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En droit rural, les loyers sont fortement encadrés. Indépendamment de ces normes, le fisc exerce un contrôle sur le niveau des loyers et met en œuvre la théorie de l’acte anormal de gestion dès lors que les loyers convenus sont anormalement bas ou anormalement élevés. En outre, les loyers convenus dont la perception est différée ou abandonnée peuvent générer d’importants problèmes fiscaux.



 

1.- La sanction fiscale des loyers anormaux :

En droit rural, les loyers sont fortement encadrés par les articles L. 411-11 et L. 417-3 du Code rural. Mais de première part un loyer « irrégulier » est néanmoins juridiquement valide, permettant seulement au fermier d’exercer une action en révision du loyer au cours de la troisième année de bail. De deuxième part, il n’est pas certain que la « normalité » du loyer soit appréciée de la même façon en fiscalité et en droit rural. De troisième part, le droit rural n’interdit pas de prévoir une absence de loyer. Dans ce cas, il ne s’agit pas d’un bail, mais d’un commodat.

Comment la fiscalité appréhende-t-elle les loyers « anormaux » ? Soit anormalement bas, soit anormalement élevés.

1.1.- Les loyers anormalement élevés suspects d’organiser un transfert de bénéfice :

Lorsque la stipulation d’un loyer anormalement élevé vise à transférer des bénéfices d’une structure fortement imposée à une structure moins fortement imposée, la pénalisation fiscale ne constitue qu’une mise en échec du schéma d’optimisation fiscale, ce qui ne mérite pas de grandes dissertations.

Il convient de préciser que le caractère éventuellement illicite du loyer par rapport à la réglementation du statut du fermage ne suffit pas à le regarder comme anormal1.

Pour rejeter la déduction de la fraction du loyer jugée excessive, l’administration doit démontrer que le loyer versé est substantiellement supérieur à la valeur locative réelle telle qu’elle résulte des loyers normalement pratiqués à la même époque pour des locations de biens similaires.

Deux arrêts de la Cour administrative de Nancy témoignent d’une particulière sévérité à l’égard des baux viticoles comportant une clause d’échelle mobile. Dans le but de coller à l’évolution des conditions économiques, ces baux prévoyaient un loyer égal à une base fixe majorée en proportion de la différence entre le plafond de l’appellation et un rendement de base (en l’occurrence 7 500 kg de raisin par hectare). Le jeu de cette clause aboutissait à des loyers qui pouvaient atteindre la valeur de 3 600 kg de raisin à l’hectare pour une des années en litige. Tandis que l’administration tentait de limiter le loyer normal à la valeur de 2 000 kg/hectare, la Cour administrative d’appel de Nancy a jugé anormal le loyer excédant, dans un cas 2600 kg/hectare 2, dans l’autre 2 500 kg/hectare 3.

 Dans la première affaire, la charge de la preuve incombait au contribuable. Faute, pour l’administration de se fonder sur des termes de comparaison précisément cités, la Cour a admis que la société preneuse puisse se référer à l’arrêté préfectoral publié en 1991 (bien que le litige portât sur les années 1980 à 1983) prévoyant pour les baux de 18 ans un fermage maximum de 2 600 kg/hectare.
 Dans la seconde affaire, la Cour a retenu comme limite de « normalité » le fermage le plus élevé constaté, pour les années en litige (1982 à 1985), dans les contrats produits au dossier ne comportant pas de clause d’échelle mobile, cette clause ayant été regardée comme un revenu supplémentaire distribué aux associés, sans intérêt pour l’entreprise.

Lorsque le caractère excessif du loyer est établi, la fraction excessive ne peut être déduite des résultats du preneur. Le bailleur est néanmoins imposable sur la totalité des loyers perçus, y compris la fraction excessive. Lorsque le preneur est une société passible de l’impôt sur les sociétés et le bailleur un associé de cette société, le loyer excessif est considéré comme un revenu irrégulièrement distribué, imposable dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers, sans avoir fiscal 4.

1.2.- Les loyers anormalement bas suspects de libéralité :

Les loyers anormalement bas constituent peut-être une hypothèse plus fréquente dont le théâtre privilégié est le cercle familial.

Poussée à l’extrême, cette hypothèse vise l’absence de loyer. On est alors en présence d’un commodat (ou prêt à usage). Le propriétaire est considéré comme conservant la jouissance des immeubles qui ne produisent pas de loyer, c’est-à-dire mis gratuitement à disposition d’un tiers 5. Il est donc imposable à raison des loyers qu’auraient pu produire les immeubles s’ils avaient été donnés en location (article 30 du CGI), sauf s’il s’agit de logements (article 15.II du CGI).

S’agissant des loyers « atténués » (pour reprendre le qualificatif utilisé par l’administration6 ), la jurisprudence fait application au bailleur de la théorie de l’acte anormal de gestion, que les revenus soient appréhendés dans une catégorie professionnelle (bénéfices industriels et commerciaux, bénéfices agricoles,…) ou dans celle des revenus fonciers. L’administration peut donc réintégrer dans les bases d’imposition du bailleur la différence entre la valeur locative normale et le loyer stipulé dans le bail, à condition que le loyer stipulé dans le bail soit manifestement inférieur à la valeur locative 7 et que cette situation ne résulte pas de circonstances indépendantes de la volonté du bailleur 8.

La circonstance que le GFA bailleur ait accordé à la société locataire, comportant des associés communs, une réduction du loyer en dehors de la procédure de révision organisée par l’article L. 411-13 du code rural, ne suffit pas a établir le caractère anormalement bas du loyer ainsi révisé 9.
Mais l’administration ne peut retenir une valeur locative supérieure au fermage maximum fixé par l’arrêté préfectoral, quand bien même elle démontrerait que ce maximum est communément dépassé, y compris par le propriétaire lui-même dans les baux qui l’unissent à ses autres fermiers 10.


Bien entendu, l’imposition chez le bailleur d’un loyer supérieur à celui qu’il a perçu n’autorise pas le preneur à déduire plus que ce qu’il a payé.

Dans sa Documentation de base, l’administration commente la jurisprudence du Conseil d’Etat en observant que les arrêts concernent tous des espèces où le bail était consenti à un membre de la famille du propriétaire 11. De là à penser que l’administration s’abstiendrait de remettre en cause un loyer « atténué » dans le cas d’un bail consenti à un tiers au statut modeste, il n’y a qu’un pas… qu’il ne faut tout de même pas franchir trop vite 12.

Un GFA ayant pris en charge la construction d’une nouvelle unité de vinification mise à disposition du locataire sans augmentation du loyer, l’administration fiscale a été jugée fondée à réintégrer dans les revenus imposables du GFA le montant d’un loyer supplémentaire égal à l’intérêt des sommes investies en application des dispositions de l’article R 411-8 du code rural 13.

Un arrêt du Conseil d’Etat mérite enfin d’être signalé pour avoir jugé, dans le cas d’un bailleur par ailleurs exploitant viticole, que la faiblesse du loyer peut être justifiée par l’entraide : « En vertu des dispositions de l’article 20 de la loi du 8 août 1962, le contrat d’aide peut avoir pour objet de mettre à la disposition d’un agriculteur des moyens d’exploitation ayant la nature de biens immobiliers ; que, par suite, en jugeant que la renonciation par M. M… à une partie des fermages que la location d’une partie des terres à vignes aurait pu lui procurer, ainsi qu’à tout loyer en contrepartie de la mise à la disposition de ses fils d’une partie de ses caves de stockage n’entrait pas dans les prévisions des dispositions législatives précitées, la CAA a commis une erreur de droit » 14. Un tel raisonnement paraît circonscrit au cas où les immeubles loués figurent à l’actif du bilan de l’exploitant bailleur.

2.- Différé de perception ou abandon de loyers : pas de quartier pour les bailleurs bienveillants !

On imagine aisément que les parties au bail peuvent, dans le courant du bail, d’un commun accord et pour des raisons de convenance, adopter des comportements qui ne correspondent pas à leurs engagements contractuels initiaux. Mais une fois encore la question se pose de savoir si leur liberté n’est pas bridée par les conséquences fiscales de tels comportements.

Voici par exemple des parents qui diffèrent la perception du loyer dû par leur descendant, voire qui renoncent définitivement à cette perception (abandon de créance).

Pour le bailleur imposable dans la catégorie des revenus fonciers, le différé de perception n’entraîne un différé de l’imposition que s’il est établi que le retard de paiement résulte de circonstances indépendantes de sa volonté 15. De même, si l’abandon du loyer n’est motivé par aucune circonstance indépendante de la volonté du bailleur et ne présente pour lui aucun intérêt, il est assimilé à un acte de disposition et le loyer qui aurait dû être perçu est imposable 16. Dans le cas contraire, il n’y a pas d’imposition 17.

Dans le cas d’un bailleur auquel le preneur (en l’occurrence son fils) n’avait versé aucun loyer mais avait pris en charge d’importants travaux de réparation et de rénovation de l’immeuble, le Conseil d’Etat a jugé que les dépenses correspondant auxdits travaux ne devaient pas être incluses dans les revenus fonciers du bailleur, à défaut d’avoir été mises par convention à la charge du preneur, mais qu’en revanche : « le sieur X (n’ayant) pas perçu le montant des loyers de l’immeuble loué à son fils doit être regardé, alors qu’aucune circonstance indépendante de sa volonté ne l’a contraint à y renoncer, comme ayant disposé en faveur de son fils des revenus que représentaient lesdits loyers » 18.

La prise en charge de travaux importants par le preneur ne peut constituer un « intérêt » pour le bailleur de renoncer à la perception des loyers que si elle y est conditionnée, ce qui suppose l’existence d’une convention .

Du côté du preneur, les choses se présentent plus simplement mais n’en sont pas moins redoutables. Il arrive parfois que des dettes de loyers impayés, dus à des bailleurs « proches », s’accumulent au passif du bilan du preneur. S’il apparaît de façon certaine que ces loyers ne seront jamais payés, l’annulation de la dette génère un produit taxable, quand bien même les loyers auraient fait l’objet d’une imposition chez le bailleur.

Bien entendu chaque fois que le bailleur revendique l’application d’un régime de faveur subordonné à l’existence d’un bail à long terme en matière d’ISF ou de droits de mutation à titre gratuit (art. 793.1.4° et 793.2.3°), la non perception des loyers, si elle est habituelle, pourrait conduire l’administration fiscale à remettre en cause l’existence même du bail, et donc l’application de l’avantage fiscal inhérent. Il en est de même lorsque le preneur, acheteur du bien loué, revendique l’application du régime de faveur prévu à l’article 1594 F quinquies D du CGI, alors qu’il n’a jamais payé de loyer.


(1) CAA Nancy, 11 février 1993, n° 90-393, SA Bouché : RJF 8-9/93, n° 1120. Dans le même sens, pour un loyer commercial : CE 3 octobre 1984, n° 33567 : RJF 12/84, n° 1406.

(2) CAA Nancy, 11 février 1993, préc.

(3) CAA Nancy 4 novembre 1993, n° 93-303, Morizet : RJF 2/94, n° 144.

(4) CAA Nancy 4 novembre 1993, préc.

(5) RM Dejoie, Sén. 28 août 1997, p. 2213, n° 1123 : Droit fiscal 1997, n° 48, comm. 1223.

(6) BOI 5 D-2-07, fiche n° 6, § 45.

(7) CE 18 décembre 1987, n. 69532 et 71301 : RJF 1988, n° 2, p. 110 et conclusions O. Fouquet in AJPI 1988, p. 90 : « une valeur locative peut donc s’écarter de la moyenne sans être pour autant manifestement anormale dès lors qu’elle se situe dans une fourchette raisonnable ».

(8) CE 13 février 1980, n° 16937 : RJF 3/80, n° 221

(9) CAA Nantes 21 juin 2006, n° 04-585.

(10) CE 28 mai 1980, n° 17326 : RJF 7-8/80, n° 597 :le bail critiqué étant, en l’occurrence, consenti au fils du bailleur.

(11) DB 5 D-2212, n° 18, 10 mars 1999.

(12) Cf. TA Nantes 27 octobre 2000, n° 96-2731, 96-2732 : RJF 5/01, n° 622 : « M. H…, qui se borne à faire état de son absence de lien de parenté avec la locataire de l’appartement, en admettant toutefois entretenir avec elle des liens affectifs, et de la modicité des revenus de ladite locataire, n’établit pas que la faiblesse du loyer consenti serait due à des circonstances indépendantes de sa volonté ».

(13) CAA Nantes 21 juin 2006, n° 04-585.

(14) CE 23 novembre 1998, n° 159131, Michel :RJF 1/99, n° 30.

(15) CAA Paris 10 février 1994, Le Guen : RJF 5/94, n° 553.

(16) CAA Bordeaux 5 décembre 2000, Gugole : RJF 3/01, n° 313.

(17) CE 29 mai 1991, n° 75021, Winter : RJF 7/91, n° 956.

(18) CE 23 novembre 1977, n° 98.227 : RJF 1/78, n° 15.