Le statut du conjoint
dans l’exploitation individuelle

Mise à jour: 1er janvier 2009
 
     


Dans l’exploitation individuelle, la participation du conjoint à l’activité de l’exploitant en titre est une situation fréquente. Pour l’agriculture, la loi d’orientation agricole du 4 juillet 1980 consacre quelques articles au conjoint travaillant sur l’exploitation agricole. La loi d’orientation agricole du 9 juillet 1999 crée le statut de conjoint collaborateur d’exploitation ou d’entreprise agricole (article L. 321-5 du code rural). Enfin, la loi d’orientation agricole du 5 janvier 2006 prévoit une option du conjoint exerçant une activité professionnelle régulière sur l’exploitation pour un des trois statuts suivants : collaborateur, salarié ou chef d’exploitation (article L. 321-5 du code rural et modalités d’application à l’article R 321-1 du même code).

La loi du 10 juillet 1982 s’intéresse aux conjoints d’artisans et de commerçants travaillant dans l’entreprise familiale. Enfin, la loi de modernisation sociale du 17 janvier 2002 crée le statut de conjoint collaborateur de professionnel libéral.

A plusieurs reprises la question de la collaboration professionnelle des époux a fait l’objet de débats non sectoriels. En dernier lieu, au cours de l’année 2000, une proposition de loi déposée par Nicole CATALA (Proposition de loi du 28 mars 2000, AN n° 2284) portait sur l’organisation juridique de la coopération professionnelle entre époux. Elle comportait cinq articles qui instauraient une présomption de mandat réciproque pour les époux qui exercent ensemble une activité indépendante (sauf pour les professions libérales lorsque l’un des époux ne remplit pas les conditions légales d’exercice), une responsabilité solidaire, la cogestion s’agissant des droits qui assurent la jouissance de l’outil de travail (immeubles et meubles), toutes choses qui s’inspirent peu ou prou des statuts déjà existant pour les agriculteurs, les artisans et les commerçants. La disposition la plus innovante était sans doute le quatrième article : « les époux coexploitants ont une vocation égalitaire aux bénéfices, sans préjudice d’un droit à rémunération pour leur activité au sein de l’entreprise ». Bien qu’insérées dans le statut primaire des époux, donc applicables quel que soit le régime matrimonial, ces règles étaient prévues supplétives, ne s’appliquant que dans la mesure où les conjoints n’ont pas organisé « autrement » leur coopération professionnelle. Mais cette proposition ne fut pas adoptée.

Le statut du conjoint participant à l’exploitation agricole reste donc aujourd’hui largement régi par les règles propres au secteur agricole.

Ces règles ont institué une sorte de statut primaire applicable à tous les conjoints participants à l’exploitation quel que soit le degré ou les conditions de cette participation. Elles permettent en outre le choix de divers statuts qui entraînent des conséquences différentes en matière de responsabilité, de protection sociale, et éventuellement de fiscalité.

Le seul fait de travailler sur l’exploitation confère aux conjoints des droits quel que soit le statut adopté (1).

La collaboration professionnelle des époux dans l’entreprise individuelle peut intervenir sous couvert de statuts divers qui résultent, soit d’une situation de fait, soit d’un choix délibéré et qui entraînent des conséquences différentes en matière de responsabilité, de protection sociale, et éventuellement de fiscalité (2).

1.- Une situation de fait génératrice de droits :

Le seul fait, pour le conjoint, de participer à l’exploitation agricole, lui confère des droits, quelle que soit l’intensité de cette participation – qui doit néanmoins être effective – et le statut sous lequel elle s’exerce. Il s’agit de pouvoirs de représentation (1.1) et de droits protecteurs en matière de bail rural (1.2).

1.1.- La loi confère aux époux un pouvoir de représentation.

Dès lors que les deux époux travaillent sur l’exploitation, chacun a le pouvoir d’accomplir les actes d’administration la concernant. C’est l’article L. 321-1 qui en dispose ainsi en présumant l’existence d’un mandat, soit réciproque si les époux sont coexploitant, soit bénéficiant au conjoint qui ne fait que collaborer à l’exploitation:

« Lorsque des époux exploitent ensemble et pour leur compte un même fonds agricole, ils sont présumés s’être donnés réciproquement mandat d’accomplir les actes d’administration concernant les besoins de l’exploitation. Lorsqu’il ne fait que collaborer à l’exploitation agricole, le conjoint de l’exploitant est présumé avoir reçu de celui-ci le mandat d’accomplir les actes d’administration concernant les besoins de cette exploitation ».

Par ailleurs, l’article L. 321-4 donne à chacun des époux les pouvoirs de participer à la vie de certains organismes professionnels:

« Lorsque des époux participent ensemble et de façon habituelle à une exploitation agricole non constituée sous forme sociale, l’un ou l’autre peut participer aux assemblées générales des organismes de coopération, de mutualité ou de crédit agricole et est éligible aux organes ou conseils d’administration ou de surveillance des organismes précités. Toute clause contraire dans les statuts de ces organismes est réputée non écrite ».

1.2. - La loi confère au conjoint du preneur à bail des droits spécifiques, lorsqu’il participe à l’exploitation.

C’est ainsi que le bail continue à son profit en cas de décès du preneur:

Art. L. 411-34 Code rural : « En cas de décès du preneur le bail continue au profit de son conjoint, de ses ascendants et de ses descendants participant à l’exploitation ou y ayant participé effectivement au cours des cinq années antérieures au décès »,

qu’il peut bénéficier de la cession du bail ou être associé en qualité de copreneur:

Art. L. 411-35 Code rural : « … toute cession est interdite, sauf si la cession est consentie, avec l’agrément du bailleur, au profit du conjoint du preneur participant à l’exploitation ou…
« De même, le preneur peut, avec l’agrément du bailleur…, associer à son bail en qualité de copreneur son conjoint participant à l’exploitation ou… »,

qu’il peut bénéficier du droit de préemption:

Art. L. 412-5 Code rural : « Bénéfice du droit de préemption le preneur ayant exercé, au moins pendant trois ans , la profession agricole et exploitant par lui-même ou par sa famille le fonds mis en vente.
« Il peut exercer ce droit, soit pour exploiter lui-même, soit pour faire assurer l’exploitation du fonds par son conjoint participant à l’exploitation…
« Il peut aussi subroger dans l’exercice de ce droit son conjoint participant à l’exploitation ou… ».

Encore faut-il que la participation du conjoint s’exerce effectivement sur les parcelles louées:

« Attendu que l’autorisation de cession, au profit du conjoint du preneur, supposant la participation de ce conjoint à l’exploitation des seules terres objet de la cession… »(3ème civ, 9 octobre 1996, Bonebeau c/ Sarnette, n° 94-20108: JCPN 1997.II.1111, note Moreau ; RD rur. 1996, p. 470, avec concl. M. l’Avocat général WEBER).

Cette interprétation stricte peut susciter des difficultés lorsque la participation du conjoint se limite à des tâches accomplies au siège de l’exploitation (tâches administratives, réception de clients, travaux de cave…).

Enfin, lorsque des époux participent ensemble et de façon habituelle à une exploitation agricole, l’époux titulaire du bail ne peut sans le consentement exprès de son conjoint, accepter la résiliation du bail, céder le bail ou renoncer à son renouvellement (Art. L. 411-68 Code rural). Cette protection s’étend même au conjoint retraité qui continue de participer à l’exploitation des terres louées (3ème civ. 1er février 2000, n° 98-14488, Crts Mayne c/ Piton : RD rur. 2000, p. 128.!)

Si le fait, pour le conjoint, de participer à l’exploitation, lui confère certains droits. Il ne lui confère pas tous les droits.

Par exemple, le seul fait, pour le conjoint du preneur, de participer à l’exploitation des biens loués, ne lui confère pas la qualité de copreneur (3ème civ. 12 juillet 1989, Crts Bourgin c/ Jacquet, n° 88-11728 : RD rur. 1989, p. 468), sauf dans le cas où il en serait devenu le seul exploitant, cette dernière situation – approuvée, au moins tacitement, par le bailleur - pouvant être considérée comme une association tacite au bail rural (3ème civ. 15 mars 2000, Bleuse c/ Crts Capenol, n° 98-17345: JCPN 2002, p. 1197, note Brelet : « la volonté du preneur d’associer son conjoint à son bail peut être tacite et résulter des circonstances et de son comportement »).

En outre, le seul fait, pour le conjoint, de participer à l’exploitation, ne lui permet pas d’acquérir l’expérience professionnelle au sens de la législation sur le contrôle des structures car, en la matière, le statut adopté n’est pas indifférent (Cf. infra, 2.22).

2.- Le choix d’un statut :

La participation des conjoints à l’exploitation individuelle peut être envisagée sous différents statuts selon le degré de la participation des conjoints. Mais il est possible que le choix, plus ou moins explicite d’un statut, ne corresponde pas à la situation de fait, d’où un problème de frontière (2.1). Il convient en théorie de distinguer les situations dans lesquelles l’un des conjoints dirige l’exploitation, l’autre ne faisant qu’y collaborer, conduisant à l’adoption de statuts « inégalitaires » (2.2), des situations dans lesquelles les époux dirigent conjointement l’exploitation individuelle, sur un pied d’égalité (2.3).

2.1.- Collaborateur ou coexploitant : où est la frontière ?

Selon qu’il est coexploitant ou collaborateur, le conjoint sera ou non admis au bénéfice des procédures collectives, sera ou non débiteur du salaire différé, engagera ou non ses biens propres.

De telles conséquences font qu’au gré des circonstances les époux ou les tiers soutiendront que tel conjoint ne faisait que collaborer, ou qu’il faisait plus que collaborer : qu’il coexploitait.

On sait que le salaire différé n’est dû que par l’exploitant, qualité distincte de celle de propriétaire du fonds (1ère civ. 11 juin 1980 : D. 1981, IR 61, note Martine ; 1ère civ. 10 juillet 1996, Maignand : RD rur. 1996, p. 490). En cas de coexploitation, le salaire différé est liquidé d’après les règles en vigueur au décès du premier des coexploitants mais le droit de créance peut être exercé sur la succession de l’un ou l’autre des coexploitants (1ère civ. 7 novembre 1995 : RD rur. 1996, p. 177, obs. R. le Guidec). Dès lors, la question de savoir si le conjoint est exploitant (coexploitant) ou simplement collaborateur, peut devenir cruciale. Cette appréciation est abandonnée au pouvoir souverain des juges du fond (1ère civ. 11 juin 1980, précité).

Ainsi, a légalement justifié sa décision la Cour d’appel qui a relevé que, si le mari était seul inscrit à la mutualité sociale agricole, son épouse s’était installée sur la ferme, y avait vécu toute sa vie en même temps que son mari qui avait cessé de l’exploiter à la mort de sa femme, et en a déduit que l’exploitation était nécessairement commune, même si les tâches respectives des époux étaient distinctes et respectivement conformes à leurs aptitudes (1ère civ. 18 décembre 1990, Langlois : RD rur. 1991, p. 134). Mais la seule vie commune sur l’exploitation et l’absence d’activité distincte du conjoint ne suffisent pas à prouver la qualité de coexploitant (1ère civ. 28 janvier 1997, Gellet, n° 94-19749 : RD rur. 1998, p. 207, note F. Roussel ; CA Toulouse 4 juillet 2000 : Juris-Data n° 2000-128373).


La qualité de coexploitant a été déniée au conjoint qui la revendiquait en vue de bénéficier d’une extension de la procédure de redressement judiciaire ouverte contre son mari, au motif qu’elle était fonctionnaire de l’Etat, non affiliée à la mutualité sociale agricole et que l’aide apportée à son mari ne lui conférait pas la qualité d’agriculteur (Cass. Com. 5 avril 1994, Cottin, n° 91-18766 : RD rur. 1994, p. 386).

Enfin, le conjoint qui ne fait que collaborer n’engage pas ses biens propres puisqu’il n’agit pas à titre personnel mais en qualité de mandataire du chef d’exploitation 19 Ph. Remy, Exploitation agricole et statut civil des époux : RD rur. 1981, p. 239 et s. . Les créanciers désireux de se payer sur les biens propres du conjoint auront donc intérêt à exagérer son rôle dans la conduite de l’exploitation, tandis que le conjoint cherchera à le minimiser. Mais, vis-à-vis des créanciers, les circonstances peuvent au contraire pousser le conjoint à revendiquer la qualité de coexploitant : il en est ainsi du conjoint garant ou co-débiteur qui recherchera la relative protection des procédures collectives. Il en est encore ainsi des conjoints qui chercheront à soustraire au gage des créanciers personnels de l’un d’eux les revenus de l’exploitation:

Un exploitant marié a contracté seul un engagement de caution, en exécution duquel un banquier entendait faire pratiquer une saisie-attribution des sommes dues à l’exploitant par une laiterie au titre de la vente de lait provenant de son exploitation agricole. Selon l’article 1415 du Code civil, chacun des époux ne peut engager que ses biens propres et ses revenus, par un cautionnement ou un emprunt, à moins que ceux-ci n’aient été contractés avec le consentement exprès de l’autre conjoint qui, dans ce cas, n’engage pas ses biens propres. La Cour d’appel avait débouté les époux de leur demande de main levée en jugeant que les paies de lait représentaient les gains résultant de l’activité du seul mari, seul inscrit à la Mutualité sociale agricole. Pour la Cour de cassation, en se déterminant ainsi sans rechercher si l’épouse ne participait pas à l’entretien du cheptel commun et si les paies de lait saisies ne constituaient pas la rétribution de son travail, la cour d’appel a privé sa décision de base légale (1ère civ. 16 mai 2000, Helary, n° 97-18612 : RD rur. 2001, p. 55).

On voit donc l’importance qu’il y a de distinguer le conjoint qui collabore du conjoint qui coexploite, mais il est difficile de définir des critères précis et objectifs déterminant la frontière entre ces deux situations.

Une chose est sûre, l’inscription d’un seul conjoint à la mutualité sociale agricole ne permet pas d’écarter la qualité de coexploitant de l’autre conjoint. Inversement il est probable que l’inscription des deux conjoints en qualité d’exploitant constituera un indice fort en faveur de la coexploitation.

Certains auteurs considèrent que la qualité de copreneurs fait présumer celle de coexploitants (En ce sens notamment Catherine PIPAT-GIRAUDEL, L’exploitation agricole et la condition de la femme : RDR janvier 1984, p. 1 et s.). D’une certaine manière, la Mutualité sociale agricole a adopté ce point de vue en exigeant de l’exploitant copreneur désireux de prendre sa retraite qu’il résilie le bail en ce qui le concerne, sans aller d’ailleurs jusqu’au bout de cette logique puisqu’elle n’impose pas l’affiliation des copreneurs (Circ. CCMSA n° 87-187 du 26 novembre 1987). Curieusement, en présence d’époux copreneurs, la mutualité sociale agricole accepte de n’en assujettir qu’un seul si l’autre renonce à la qualité de chef d’exploitation. Nous hésitons à partager cette opinion dès lors que l’article L. 321-1 ne se réfère qu’au comportement réel des époux et non à la leur situation juridique.

De la même façon, la circonstance que le conjoint ne remplisse pas les conditions lui permettant d’exploiter sans autorisation administrative, sans qu’il ait déposé une demande en ce sens, ne devrait pas suffire à empêcher qu’on lui reconnaisse la qualité de coexploitant s’il est établi qu’il participait en fait et sur un pied d’égalité à la conduite de l’exploitation.

Il conviendra donc de mettre en avant des critères de fait, avec les difficultés de preuve inhérentes. On s’attachera ainsi à l’ampleur de la participation du conjoint : le fait de participer à de nombreuses tâches de l’exploitation militera en faveur de la coexploitation alors que le conjoint se bornant à accomplir quelques tâches administratives sera plus facilement qualifié de collaborateur. La signature des courriers, la procuration sur le compte bancaire, la signature de la déclaration de récolte seront autant d’indices matériels en faveur de la coexploitation.

2.2. Les statuts inégalitaires :

Dans cette hypothèse le conjoint ne fait que collaborer à l’exploitation du chef d’exploitation. Soit il est rémunéré son statut est alors celui de salarié (2.21). Soit il n’est pas rémunéré : sa situation correspond alors au statut de conjoint collaborateur (2.22), étant observé que l’adoption de ce statut nécessite aujourd’hui une option expresse.

2.21.- Le statut de salarié :

Le statut de salarié est, a priori, le plus facilement identifiable : il faut un travail effectif et une rémunération minimale : le SMIC. Faut-il un lien de subordination, dont la preuve est toujours délicate entre époux? Il semble que sa constatation ne soit pas nécessaire, du moins dans le cadre d’une exploitation individuelle, même depuis la disparition de l’article L. 784-1 du Code du travail (qui disposait : "Les dispositions du présent code sont applicables au conjoint du chef d’entreprise salarié par lui et sous l’autorité duquel il est réputé exercer son activité dès lors qu’il participe effectivement à l’entreprise ou à l’activité de son époux à titre professionnel et habituel et qu’il perçoit une rémunération horaire minimale égale au salaire minimum de croissance"). Les dispositions de l’article L. 321-5 dans leur rédaction issue de la loi d’orientation du 5 janvier 2006 ouvrent au conjoint le droit d’opter pour le statut de salarié dès lors qu’il exerce une activité régulière sur l’exploitation. La souscription d’une déclaration unique d’embauche vaut option (article R 321-1 code rural).

Le choix de ce statut sera guidé par la préoccupation de rémunérer spécifiquement l’activité du conjoint, surtout si les époux sont mariés sous un régime séparatiste, et de lui procurer une couverture sociale plus protectrice. Il peut aussi résulter d’une démarche d’optimisation fiscale pour, selon les cas, bénéficier des déductions et abattements spécifiques aux traitements et salaires, permettre la mise en place d’un plan d’épargne entreprise, répartir les revenus entre les conjoints pour ouvrir droit dans les meilleures conditions à la prime pour l’emploi…

2.22.- Le statut de conjoint collaborateur :

Jusqu’au 1er mai 2000, le conjoint vivant sur l’exploitation et non affilié à un régime de protection sociale à raison d’une autre activité professionnelle était présumé participer à la mise en valeur de l’exploitation, sauf preuve contraire, ce qui entraînait l’application du statut social de conjoint participant aux travaux (article L. 732-34 du code rural).

La loi d’orientation agricole du 9 juillet 1999 a créé le statut de « conjoint collaborateur d’exploitation ou d’entreprise agricole », codifié à l’article L. 321-5 du Code rural.

Désormais, le statut de conjoint collaborateur d’exploitation, incluant son volet social, est optionnel, ce qui signifie qu’il ne découle pas de la situation de fait existante. Autrement dit, on peut être collaborateur au sens de l’article L. 321-1 2ème alinéa sans être collaborateur au sens de l’article L. 321-5. Mais à ce moment là, socialement, on n’est rien, sauf permanence du statut social de conjoint participant aux travaux pour ceux ayant cette qualité avant le 1er mai 2000.

L’option est formulée par lettre recommandée adressée à la Caisse de mutualité sociale agricole (Art. R 321-1 du Code rural). Elle comporte une déclaration sur l’honneur faite par le conjoint "qu’ il participe effectivement et habituellement sans être rémunéré à l’activité non salariée agricole de son époux… " mais, depuis la modification opérée par la loi d’orientation agricole du 5 janvier 2006, l’accord du chef d’exploitation n’est plus requis.

L'option pour la qualité de collaborateur d'exploitation ou d'entreprise agricole prend fin lorsque le collaborateur ne remplit plus les conditions prévues à l'article L. 321-5, notamment en cas de cessation d'activité ou de modification de sa situation civile ou familiale.

On le voit, ce nouveau statut est centré sur la protection sociale du conjoint puisqu’il résulte d’une option formulée auprès de l’organisme de sécurité sociale. Il entraîne le paiement de cotisations spécifiques dans la branche vieillesse, en contrepartie desquelles, le conjoint collaborateur acquiert des droits à retraite (AVI et AVA).

Le conjoint collaborateur est également bénéficiaire des prestations d’invalidité, ce qui n’était pas le cas antérieurement pour le conjoint participant aux travaux.

Outre la protection sociale, le statut de conjoint collaborateur donne droit au bénéfice d’une créance de salaire différé si cette collaboration a duré au moins dix années. En fait, ce n’est pas la qualité de conjoint collaborateur qui génère ce droit, mais la situation de fait consistant à avoir participé directement et effectivement à l’activité de l’exploitation sans recevoir de salaire ni de part de bénéfice (Article. L. 321-21-1 du Code rural) , situation correspondant notamment à celle du conjoint collaborateur. Le montant de cette créance est égal à 3 fois le SMIC annuel en vigueur au jour du décès dans la limite de 25 % de l’actif successoral, qui s’impute sur ses droits propres dans la succession de son conjoint. En pratique, principalement depuis l’entrée en vigueur de la réforme des droits successoraux du conjoint survivant, cette disposition ne paraît avoir d’intérêt qu’en ce qui concerne le conjoint exhérédé. On a d’ailleurs fait observer que ce nouveau droit risquait de tenir en échec les demandes formulées par les conjoints séparés de bien sur le fondement de l’action de in rem verso, lesquelles pouvaient cependant aboutir à des indemnisations supérieures au plafond prévu pour le salaire différé ( Cf. RD rur. 2000, p. 369).

Enfin, le statut de conjoint collaborateur permet, comme celui de coexploitant ou de salarié, d’acquérir la capacité professionnelle au sens de la législation sur le contrôle des structures. En effet, pour l’application de cette législation, l’article R. 331-1 du Code rural dispose désormais que l’expérience professionnelle doit être acquise « en qualité d’exploitant, d’aide familial, d’associé d’exploitation, de salarié agricole ou de collaborateur d’exploitation au sens de l’article L. 321-5 ».

2.3.- Statut égalitaire : les conjoints coexploitants :

Les époux peuvent exploiter ensemble, sur un pied d’égalité.

Cette situation est la première de celles évoquées à l’article L. 321-1 du Code rural.

Elle correspond au statut dit de « coexploitants ».

Dans les actes d’administration de l’exploitation, chaque époux engage, non seulement ses biens propres et les biens communs, mais également les biens propres de son conjoint.

Le créancier du salaire différé peut faire valoir ses droits sur la succession de l’un ou de l’autre des coexploitants.

En matière de protection sociale, chacun des époux peut obtenir son immatriculation en qualité de chef d’exploitation.

Il serait d’ailleurs tentant de penser qu’à la situation d’exploitation conjointe visée au 1er alinéa de l’article L. 321-1 du Code rural correspond l’immatriculation de chaque membre du couple en qualité de chef d’exploitation, tandis que le nouveau statut social de conjoint collaborateur est réservé au conjoint qui collabore au sens du deuxième alinéa de l’article L. 321-1. La réalité est sans doute un peu différente : l’existence d’une coexploitation n’implique pas l’inscription des deux conjoints en qualité de chef d’exploitation, cette inscription n’ayant d’ailleurs pas été voulue par le législateur de 1980 qui avait remarqué les graves conséquences financières qui pourraient en résulter pour le BAPSA (« Monsieur le ministre de l’Agriculture a affirmé lors des débats parlementaires que l’inscription à l’AMEXA en qualité d’exploitantes des quelques 800 000 femmes qui travaillent actuellement avec leurs maris sur des fonds agricoles se traduirait par la nécessité de trouver dans le budget ou dans les cotisations une somme de l’ordre de 3 milliards de francs. Aussi renonça-t-on à la parité sociale des époux ». J.-M. Gilardeau, exploitation agricole et statut professionnel des conjoint in RD rur. 1981, p. 245 et s.). Pourtant, l’article L. 321-5 n’offre la possibilité de choisir le statut de collaborateur qu’au conjoint du chef d’une exploitation qui n’est pas constituée sous forme… d’une coexploitation entre conjoints. En instituant ce nouveau statut, le législateur a entendu « favoriser l’amélioration du statut des conjoints travaillant dans les exploitations lorsque ceux-ci ne sont ni coexploitants, ni associés ». Autrement dit, il ne serait pas illogique de considérer que si deux époux dirigent ensemble une exploitation, ils sont coexploitants au sens du 1er alinéa de l’article L. 321-1 du Code rural et doivent s’assujettir tous les deux en qualité de chef d’exploitation. Si l’époux n’est que collaborateur au sens du 2ème alinéa de l’article L. 321-1 du Code rural, il peut opter, auprès de la MSA, pour le statut de conjoint collaborateur d’exploitation et le chef d’exploitation est alors tenu des cotisations correspondantes.

Reste la répartition des revenus. Il paraît inévitable que les époux, dès lors qu’ils exploitent sur un pied d’égalité, partagent les revenus issus de cette activité. C’est d’ailleurs ainsi qu’ils opèrent pour le calcul des cotisations sociales (art. L. 731-18 du Code rural). Sur le plan juridique, ce partage n’a d’intérêt que dans un régime séparatiste. Il en va différemment en matière fiscale où le partage des revenus entre les époux pourrait, par exemple, influer sur le montant de la prime pour l’emploi…

On objectera qu’il peut paraître curieux que les revenus d’une exploitation individuelle aient deux titulaires.

Et en renversant l'objection: Il est curieux qu’une coexploitation puisse être considérée comme une entreprise individuelle. Ou pour être plus précis : lorsque deux époux exploitent ensemble un même fonds agricoles, ne doit-on pas considérer qu’ils ont créé entre eux une société de fait ?

Une jurisprudence récente précise que l'exercice de l'option pour le statut de collaborateur d'exploitation ou d'entreprise agricole tel que celui-ci est défini par l'article L. 321-5 du code rural n'est incompatible ni avec l'existence d'une société créée de fait entre les coexploitants ni avec l'intention de créer une telle société (Cass. com. 10 juillet 2007, n° 06-11938).

D’ailleurs la situation juridique du coexploitant visé à l’article L. 321-1 1er alinéa du code rural n’est-elle pas analogue à celle d’un associé d’une société créée de fait. En matière de responsabilité, il résulte des dispositions de l’article 1872-1 du Code civil, applicable aux sociétés créées de fait, que les associés apparents sont tenus à l’égard des tiers des actes accomplis en cette qualité par chacun d’eux, sans solidarité si la société n’est pas commerciale. Or c’est au même résultat qu’aboutit la présomption de représentation mutuelle édictée au premier alinéa de l’article L. 321-1 du Code rural. L’exploitation conjointe par les époux permet l’extension de la procédure collective aux deux sur le fondement de la confusion des patrimoines36 Inversement, cette extension est refusée lorsque l’aide apportée par l’épouse à son mari dans les tâches agricoles ne lui conférait pas la qualité d’agriculteur (Cass. Com. 5 avril 1994, Cottin, n° 91-18766: RD rur. 1994, p. 386), ce qui les place dans une situation similaire à celle d’associés d’une société créée de fait. Enfin, en matière de protection sociale, les règles applicables aux coexploitations et aux sociétés sont communes.

Mais cette assimilation des conjoints coexploitants à des conjoints associés de fait soulève deux difficultés.

L’une, fiscale, dès lors que, pour l’imposition des bénéfices, la loi fiscale assimile les sociétés créées de fait aux sociétés en participation (article 238 bis L du CGI) soumises au même régime fiscal que les sociétés de droit, ce qui les distingue nettement des exploitations individuelles.

L’autre difficulté a trait à l’application du statut des baux ruraux. Plusieurs décisions ont en effet prononcé la résiliation du bail s’il apparaissait que le preneur avait constitué une société de fait (Soc. 7 mars 1963, Haquet c/ Cadinot: Bull. IV n° 222 ; Soc. 28 novembre 1963, Cairus : Bull. IV n° 822 ; 3ème civ. 16 octobre 1970, Roure c/ Clamour : Bull. III, n° 524 ; 3ème civ. 20 janvier 1981 : JCPN 1981.II.283, obs. J.-F. Pillebout; a contrario lorsque l’existence d’une société de fait n’est pas caractérisée : 3ème civ. 8 février 1984 : RD rur. 1984, p. 478), hormis l’hypothèse où les « coexploitants » sont copreneurs (3ème civ. 12 février 1980 : Gaz. Pal. 1980.pan.319).

En revanche, en tous cas lorsque l’existence d’une société de fait n’est pas alléguée, l’exploitation « en commun » par le preneur et un autre membre de sa famille n’est pas de nature a entraîner à elle seule la résiliation du bail pour cession (3ème civ. 11 mai 1982 : JCPN 1983, p. 284, obs. J.-F. Pillebout. Rejet du pourvoi dirigé contre un arrêt qui refusait de faire droit à la demande de résiliation fondée sur une prétendue cession intervenue au profit du fils du preneur : « l’arrêt a répondu aux conclusions prétendument délaissées en retenant souverainement que M. Bidaut ne rapportait pas la preuve que les époux Maurice Tourneau [fils du preneur] dirigeaient l’exploitation des parcelles et que leur exploitation « en commun » par les époux Maurice Tourneau et Jean-Claude Tourneau (preneur) n’avait pas pour conséquence d’établir la cession de bail invoquée ») ou association (3ème civ. 27 janvier 1993 : Gaz. Pal. 1993.380, note Lachaud. L’association du fils du fermier au bail rural n’a pas été jugée suffisamment caractérisée par le fait qu’il demeurait (avec son épouse) de manière constante dans le bâtiment d’habitation du bien loué et que les terres étaient exploitées conjointement par le père et le fils) prohibée tant que le rôle du « coexploitant » dans l’exploitation des parcelles louées ne devient pas prépondérant. La Cour de cassation souligne que « la volonté du preneur d’associer son conjoint à son bail peut être tacite et résulter des circonstances et de son comportement » (3ème civ. 15 mars 2000, Bleuse : JCPN 2002.1197,note D.-G. Brelet). Il ne suffit donc pas de prétendre n’avoir jamais exprimé formellement la volonté d’associer son conjoint à son bail, il faut encore, dans les faits, n’avoir pas abandonné à son conjoint la direction effective de l’exploitation des parcelles louées.

La coexploitation est donc à la fois une situation de fait et un choix de statut social. Encore ne parle-t-on pas ici de la coexploitation au sens fiscal, qui se distingue significativement de la coexploitation entendue dans son acception juridique ou sociale.

Le choix du statut social de coexploitant reposera souvent sur la volonté de reconnaître le rôle important du conjoint dans la conduite de l’exploitation et de procurer aux deux époux une protection sociale égale, qui revêt une importance particulière en cas de séparation.

Il reste que cette notion de coexploitation individuelle apparaît source de difficultés, ce qui conduit à conseiller aux époux qui souhaitent exploiter ensemble et sur un pied d’égalité un même fonds agricole de choisir une forme mieux balisée et de créer entre eux une société de droit.